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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/164

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de pareilles scènes dangereuses, Lionel était sur le point de se précipiter dans l’appartement, quand Mrs Lechmere recouvra enfin la parole, et toutes les autres sensations du jeune major cédèrent à une curiosité brillante que les circonstances justifiaient assez.

— Quel est celui qui me donna le nom de Priscilla ? demanda Mrs Lechmere ; il n’existe personne à présent qui puisse me parler avec ce ton de familiarité.

— Priscilla ! Priscilla ! répéta le vieillard en regardant autour de lui comme s’il eût cherché quelque autre personne ; le son de ce nom est doux et agréable à mon oreille, et il appartient à une autre que vous, comme vous le savez.

— Elle est morte ; des années se sont écoulées depuis que je l’ai vue dans son cercueil, et je voudrais l’oublier, ainsi que tous ceux qui, comme elle, se sont montrées indignes de mon sang.

— Elle n’est pas morte ! s’écria le vieillard d’une voix qui fit retentir tout le vieil édifice, comme celle de quelque esprit habitant invisible de l’air ; elle vit ! elle vit ! oui, elle vit encore !

— Elle vit ! répéta Mrs Lechmere en reculant d’autant de pas que Ralph en faisait en avant ; mais pourquoi suis-je assez faible pour écouter de pareil propos ? la chose est impossible.

— Elle vit ! s’écria en même temps Abigaïl Pray en se tordant les bras dans l’agonie du désespoir ; ah ! plût au ciel qu’elle vécût ! Mais n’ai-je pas vu son cadavre défiguré ? N’ai-je pas moi-même couvert d’un linceul ce corps, image parfaite de la beauté ? Oh ! non ! non, elle est morte !… morte !… et je suis une…

— Une folle d’écouter les contes ridicules d’un insensé, s’écria Mrs Lechmere avec une précipitation qui avait pour objet d’empêcher Abigaïl de terminer sa phrase ; cette malheureuse fille est morte depuis longtemps, comme nous le savons, et nous n’avons pas besoin de raisonner à ce sujet avec un homme privé de raison.

— Privé de raison ! s’écria Ralph avec le ton de l’ironie la plus amère ; non, non. Il y a quelqu’un qui en est privé, comme vous et moi nous le savons, mais ce n’est pas moi qui suis fou. C’est plutôt vous qui êtes folle, femme. Vous avez déjà fait perdre la raison à quelqu’un, voudriez-vous en priver encore un autre ?

— Moi ! dit Mrs Lechmere, en fixant ses regards sans se déconcerter sur les yeux ardents du vieillard ; le Dieu qui donne la