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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/195

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L’individu auquel s’adressait cette question, qui par la manière brusque et soudaine dont elle fut faite était de nature à faire tressaillir l’homme le plus intrépide, eut-il été doué de l’impassibilité d’un être surnaturel, il n’aurait pu l’entendre avec une apathie et une indifférence plus complète. Il se tourna lentement du côté de son interlocuteur, parut le regarder fixement, et répondit ensuite d’une voix basse et menaçante :

— Il y a un grenadier là sur la colline, avec un fusil et une baïonnette, qui se promène au milieu des canons ; et s’il entend des gens parler ici, il les fera prisonniers, quoique l’un d’eux soit le major Lincoln.

— Ah ! Job ! dit Lionel, est-ce vous que je trouve rôdant la nuit comme un voleur ? Qui vous envoie ici à une pareille heure, et qu’y venez-vous faire ?

— Si Job est un voleur pour venir voir les sépultures sur Copp’s-Hill, reprit l’idiot d’un air sombre, un autre l’est comme lui.

— Bien répondu, mon garçon, dit Lionel en souriant ; mais, je vous le répète, quelle mission diabolique vous amène en ces lieux au milieu de la nuit ?

— Job aime à se promener au milieu des sépultures avant le chant du coq ; on dit que les morts marchent lorsque les vivants dorment.

— Et vous vouliez donc avoir commerce avec les morts ?

— C’est un péché de leur adresser beaucoup de questions, et encore ne faut-il les faire qu’au nom du Seigneur, répondit l’idiot d’un air si solennel que, joint à l’obscurité et au lieu où ils se trouvaient, il fit tressaillir Lionel involontairement ; mais Job aime à être près d’eux, afin de s’accoutumer à l’humidité pour le temps où il sera appelé lui-même à marcher enveloppé d’un linceul à minuit.

— Chut ! dit Lionel, quel est ce bruit ?

Job pencha la tête, écouta aussi attentivement que son compagnon, et répondit ensuite :

— Ce n’est autre chose que le murmure du vent dans la baie ou le bruissement des vagues qui battent les côtes des îles.

— Ce n’est ni l’un ni l’autre, dit Lionel ; j’ai entendu les sons étouffés d’une centaine de voix, ou mes oreilles m’ont étrangement trompé.

— Peut-être sont-ce les esprits qui se parlent l’un à l’autre,