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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/202

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que le major Lincoln et le petit nombre d’officiers qui étaient auprès de lui voyaient du premier coup d’œil que cette mesure de leurs adversaires allait infailliblement amener une crise, et qu’un engagement ne pouvait tarder à avoir lieu. En vain promenèrent-ils leurs regards étonnés sur les éminences voisines et sur les différents points de la péninsule, pour y chercher ces points d’appui par lesquels les soldats soutiennent ordinairement leurs ouvrages. Les paysans s’étaient saisis de l’emplacement qu’ils avaient trouvé le plus convenable pour harceler leurs ennemis, sans s’inquiéter des conséquences, et en quelques heures, à la faveur de la nuit, ils avaient élevé leur redoute avec une adresse qui ne pouvait être égalée que par leur audace.

La vérité se découvrit aussitôt tout entière au major Lincoln, et le feu lui monta au visage lorsqu’il se rappela ce bruit vague, ces murmures confus et étouffés qui la veille avaient frappé son oreille, et ces visions inexplicables qui l’avaient poursuivi même pendant son sommeil, jusqu’à ce qu’elles se fussent évanouies devant les premiers rayons du jour. Faisant signe à Job de le suivre, il descendit la colline d’un pas précipité, et dès qu’il se vit dans la plaine, il se retourna et dit d’un ton ferme à son compagnon :

— Malheureux, vous étiez dans le secret ; et ces travaux exécutés pendant la nuit…

— Job a bien assez à faire pendant le jour sans aller travailler la nuit lorsqu’il n’y a que les morts qui sortent de leur lieu de repos, répondit l’idiot avec un air d’imbécillité qui désarma aussitôt le ressentiment du jeune officier.

Lionel sourit en se rappelant de nouveau sa propre faiblesse, et il répéta en lui-même :

— Les morts ! Cette redoute est bien l’ouvrage des vivants, et il faut avoir bien de l’audace pour avoir osé l’élever. Mais dites-moi, Job, car il est inutile de chercher plus longtemps à me tromper, combien pouvait-il y avoir d’américains sur la colline lorsque vous l’avez quittée pour traverser le détroit de Charles et venir visiter les sépultures sur Copp’s Hill, hier au soir ?

— Les deux collines étaient couvertes l’une de peuple, l’autre de revenants, répondit Job d’un air de simplicité ; Job croit que les morts s’étaient levés pour voir leurs enfants travailler si près d’eux.