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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/220

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traits, à la tête de son régiment, dans lequel Lionel cherchait en vain son ami Polwarth.

Quelques minutes suffirent pour les amener en vue de cette redoute grossière et à peine terminée, dont la base avait été arrosée de tant de sang sans que ceux qui l’attaquaient en fussent plus avancés. Le même silence y régnait, comme si personne ne s’y trouvait pour la défendre, quoiqu’un rang terrible de tubes menaçants se montrait dans toute la longueur du rempart, suivant les mouvements de l’ennemi, comme les enchanteurs imaginaires de nos forêts épient, dit-on, leurs victimes. À mesure que le bruit de l’artillerie devenait plus faible, celui de l’incendie se faisait entendre avec une nouvelle violence. Le village sur leur gauche n’offrait plus que des ruines, et du milieu de ces débris embrasés sortaient d’immenses colonnes d’une fumée noire et épaisse, qui, se condensant en un nuage hideux, venait jeter son ombre lugubre sur le champ de carnage.

Un bataillon intrépide, paraissant sortir du village en cendres, commença à s’avancer dans cette direction, et les autres divisions suivirent son exemple avec un enthousiasme électrique ; l’ordre circula dans tous les rangs de ne point faire feu, et le cri : À la baïonnette ! à la baïonnette ! fut répété sur toute la ligne.

— Hurra pour Royal-Irlandais ! s’écria Mac-Fuse de sa voix de tonnerre, à la tête de la colonne qui montait du côté de Charlestown.

— Hurra ! répéta une voix bien connue derrière la redoute ; qu’ils viennent à Breed’s-Hill ! le peuple leur apprendra la loi !

Dans de pareils moments les pensées se succèdent avec la rapidité de l’éclair, et Lionel s’imaginait déjà que ses camarades étaient maîtres des travaux, lorsque la décharge terrible des Américains, succédant au profond silence qu’ils avaient gardé jusque alors, parut glacer le courage des plus intrépides.

— En avant donc ! s’écria le vétéran de marine au petit peloton de soldats qui était en tête de la colonne du centre ; en avant ! ou le 18e aura tout l’honneur de cette journée.

— Impossible ! murmurèrent les soldats ; leur feu est trop bien nourri !

— Alors ouvrez vos rangs, et laissez passer les soldats de marine[1].

  1. On croit que cette circonstance, comme toutes les autres, est exactement vraie.