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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/23

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— Et de quel droit osez-vous porter la main sur un grenadier anglais ? s’écria le soldat courroucé, se tournant vers lui, et levant sa courroie pour en frapper celui qu’il regardait comme un bourgeois de la ville. L’officier fit un pas de côté pour éviter le coup dont il était menacé : ce mouvement entrouvrit son manteau, et la clarté de la lune tombant sur son uniforme, le bras du soldat surpris resta suspendu.

— Répondez, je vous l’ordonne, continua l’officier tremblant de colère et d’indignation : pourquoi cet homme est-il tourmenté ainsi ? À quel corps appartenez-vous ?

— Aux grenadiers du 47e régiment, Votre Honneur, répondit un autre soldat d’un ton humble et soumis. C’est une leçon que nous donnions à un indigène pour lui apprendre à refuser de boire à la santé de Sa Majesté.

— C’est un pécheur endurci qui ne craint pas son Créateur ! s’écria la victime du courroux des soldats, en tournant avec empressement vers son protecteur son visage baigné de larmes ; Job aime le roi, mais Job n’aime pas le rum.

L’officier détourna les yeux de ce spectacle cruel, et ordonna aux soldats de délier leur prisonnier. Les doigts et les couteaux furent mis en réquisition pour lui obéir plus promptement, et le malheureux, rendu à la liberté, s’occupa à se couvrir des vêtements dont on l’avait dépouillé. Pendant ce temps, le tumulte qui avait accompagné cette scène de désordre avait fait place à un silence si profond, qu’on entendait la respiration pénible du pauvre diable dont le martyre avait été interrompu.

— Messieurs les héros du 47e régiment, dit l’officier quand l’objet de leur courroux eut remis ses habits, connaissez-vous ce bouton ?

Le soldat à qui il semblait adresser plus particulièrement cette question regarda le bras qu’étendait l’officier, et il ne fut pas peu déconcerté en voyant sur le parement blanc qui décorait un uniforme écarlate, un bouton portant le numéro de son propre régiment. Personne n’osa répondre, et, après un silence de quelques instants, l’officier continua :

— Vous êtes de nobles soutiens de la gloire acquise par le régiment de Wolf, de dignes successeurs des braves guerriers qui ont été victorieux sous les murs de Quebec ! Retirez-vous ! demain on s’occupera de cette affaire.