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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/251

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ser avec un officier de cette classe, sous la partie du portique la plus éloignée de la porte. Enfin le son de l’orgue se fit entendre, et tous les groupes commencèrent à se séparer, comme si l’on se fût rappelé tout à coup pourquoi on se trouvait réuni en cet endroit. Le compagnon du major Lincoln l’avait quitté, et Lionel se rendait vers le portail, quand son oreille fut frappée par une voix qui psalmodiait d’un ton nasal à côté de lui :

— Malheur à vous ! pharisiens, car vous aimez les premières places dans les synagogues !

Quoique Lionel n’eût pas entendu cette voix depuis le cri qui était parti de la fatale redoute, il la reconnut à l’instant. Se retournant à cette menace singulière, il vit Job Pray, debout et immobile comme une statue dans une des niches pratiquées dans le mur de l’édifice, d’où sa voix sortait comme celle d’un prophète prononçant des oracles.

— Drôle, s’écria Lionel, aucun danger ne vous apprendra-t-il à être prudent ? Comment osez-vous braver ainsi notre ressentiment ?

Ces questions ne purent attirer l’attention de l’idiot Job, dont le visage était pâle et maigre, comme s’il relevait d’une grande maladie, et dont les vêtements étaient plus malpropres et plus misérables que de coutume ; il semblait complètement étranger à tout ce qui se passait autour de lui, et sans même fixer un instant ses regards égarés sur celui qui parlait, il continua :

— Malheur à vous ! car vous n’y allez pas vous-mêmes, et vous n’y laissez pas entrer ceux qui y vont !

— Es-tu sourd, fou ? s’écria Lionel.

Au même instant l’œil de Job se fixa sur celui qui l’interrogeait, et le major Lincoln tressaillit involontairement en voyant un regard d’intelligence sauvage briller sur les traits de l’idiot, qui continua sur le même ton :

— Quiconque dira à son frère raca sera en danger du conseil, et quiconque lui dira tu es un fou, est en danger du feu de l’enfer.

Lionel resta un moment comme sous l’influence d’un talisman en voyant de quel air Job prononçait cet anathème. Mais le charme ne tarda pas à se rompre, et le touchant légèrement du bout de sa canne, il lui ordonna de descendre de sa niche.

— Job est un prophète, répondit le jeune homme ; mais au même instant il déshonora son caractère prophétique en prenant l’air