Aller au contenu

Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/351

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du soldat anglais au service de son maître. Remplissez vos verres, Messieurs, nous oublions notre loyauté.

Tous les verres furent remplis au même instant, et après une courte pause, le général prononça d’une voix lente et solennelle les mots magiques : — La santé du roi ! Tous les convives lui firent écho, et, après un instant de silence nécessaire, un vieillard portant l’uniforme de la marine leva en l’air son verre renversé pour prouver qu’il l’avait loyalement vidé jusqu’à la dernière goutte, et s’écria :

— Que Dieu le bénisse !

— Oui, que Dieu le bénisse ! répéta le chef dont le nom a déjà été cité plusieurs fois dans les pages qui précèdent ; qu’il lui accorde un règne long et glorieux, et, s’il est permis de faire ce souhait, une mort heureuse ! Puisse-t-il avoir un sépulcre comme le vôtre, digne amiral ! Sepulchrum sine sordibus extrue.

— Comme le mien ! répliqua le brusque marin, dont l’érudition avait un peu perdu par de longs services ; il est vrai que je ne suis pas de vos gentilshommes de marine qui ne savent que regarder par la fenêtre de la cabane d’un navire, mais je crois que ce ne serait pas une dégradation pour Sa Majesté, si elle daignait favoriser de sa gracieuse présence un serviteur comme moi.

— Pardon, Monsieur ; j’aurais du faire la citation tout entière, et y joindre les mots permissum arbitrio.

L’équivoque[1] avait à peine excité un sourire, quand l’air sérieux du commandant en chef annonça que le sujet n’admettait pas la plaisanterie. Le marin de son côté ne parut pas aimer la langue inconnue qu’on avait employée en lui parlant ; car aussi offensé, et peut-être même un peu plus, de la liberté qu’on avait prise de faire un jeu de mots sur son nom, que du ton un peu léger dont on venait de parler de la personne privilégiée du souverain, il répliqua avec un air d’aigreur.

— Permis ou non permis, je commande la flotte de Sa Majesté dans ces parages, et ce sera un jour marqué comme heureux sur le journal de mon navire, que celui où vous autres, messieurs de l’armée de terre, vous nous enverrez nous acquitter de nos devoirs en pleine mer. Un marin se fatigue à rien faire, comme un soldat d’être occupé. J’aime à avoir partout place pour mes coudes ; sur

  1. Cette équivoque est intraduisible. Elle résulte de ce que le mot anglais grave signifie sépulcre, et que l’amiral se nommait Graves.