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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/418

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silence si profond, que le bruit du canon, qui grondait par intervalles dans l’éloignement, semblait partir de la place voisine, et qu’on entendait la respiration pénible de Job. Mais en ce moment le malheureux jeune homme cessa de respirer, comme si son esprit n’eût attendu pour s’envoler que la fin des aveux de sa mère. Polwarth laissa tomber le bras insensible de l’idiot, auquel il avait pris tant d’intérêt depuis quelques heures.

Au milieu de cette scène de mort, le vieux Ralph se leva tout à coup, les yeux égarés, en poussant un cri terrible qui ressemblait au hurlement d’une bête sauvage plutôt qu’à la voix humaine, et s’élança sur Abigaïl Pray, comme un tigre sur sa proie, tandis que tout ce qui l’entourait frémissait d’horreur et d’épouvante.

— Misérable ! s’écria-t-il en la secouant fortement par le bras, je te tiens maintenant ! Qu’on m’apporte le livre, le saint livre de la parole de Dieu, et qu’elle se damne par de nouveaux parjures !

— Monstre ! dit Lionel en s’avançant au secours d’Abigaïl, lâche cette femme à l’instant ! Et toi aussi tu m’as trompé, malgré tes cheveux blancs !

— Lionel ! Lionel ! s’écria Cécile, retenez cette main dénaturée ; vous la levez contre votre père !

Lincoln recula comme frappé de la foudre, et s’appuya contre la muraille, pouvant à peine respirer.

Il était évident que Ralph, ou, pour mieux dire, le père de Lionel Lincoln, en apprenant la calomnie dont on avait noirci la réputation d’une femme adorée, avait éprouvé un nouvel accès de cette aliénation mentale qui allait quelquefois jusqu’à la fureur. Abandonné à lui-même, il aurait bientôt mis fin aux chagrins de la misérable Abigaïl, si l’étranger qu’il avait eu l’adresse de laisser entre les mains os Américains, n’eût ouvert la porte en ce moment, et ne fût entré précipitamment.

— J’ai reconnu votre cri, mon digne baronnet, s’écria-t-il ; j’ai passé assez d’années à vous garder en Angleterre pour ne pas m’y tromper, et il n’a pas tenu à vous que je ne fusse pendu en Amérique. Mais je ne vous ai pas suivi à travers les mers sans de bonnes raisons ; et, puisque je vous trouve enfin, nous ne nous quitterons plus.

Animé par le ressentiment qu’il conservait du danger qu’il avait couru dans le camp des Américains, il s’avança pour saisir