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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/424

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On aurait pu croire alors que Lionel et son ami étaient les seuls êtres vivants qui restassent dans le cimetière ; il s’y trouvait pourtant encore une femme agenouillée, ou plutôt accroupie le long du mur, à demi cachée derrière une pierre sépulcrale, et couverte d’une vieille mante rouge jetée sans soin sur ses épaules. Dès que les deux amis l’aperçurent, ils s’avancèrent vers elle ; elle entendit le bruit de leurs pas qui s’approchaient ; mais, au lieu de jeter un regard sur ceux qui paraissaient évidemment avoir envie de lui parler, elle se tourna du côté de la muraille, et, sans savoir ce qu’elle faisait, suivit avec les doigts les lettres d’une inscription gravée sur une plaque de cuivre scellée dans le mur pour indiquer la situation du lieu de sépulture de la famille Lincoln.

— Nous ne pouvons faire davantage pour eux, lui dit Lionel ; leur sort dépend maintenant d’une main plus puissante que toutes celles de la terre.

On vit trembler le bras décharné qui sortait de dessous la mante rouge, mais les doigts continuèrent leur occupation insignifiante.

— C’est sir Lionel Lincoln qui vous parle, dit Polwarth appuyé sur le bras de son jeune ami.

— Qui ? s’écria Abigaïl Pray avec un accent de terreur en jetant sa mante de côté, et en montrant des traits que la misère et le chagrin avaient encore bien changés depuis quelques jours. Ah ! ajouta-t-elle, j’avais oublié que le fils succède au père ; mais la mère doit suivre le fils au tombeau.

— Il est honorablement enseveli, dit Lionel, près de ceux dont il partageait le sang, à côté d’un père qui aimait sa simple naïveté.

— Oui, il est mieux logé après sa mort qu’il ne l’a jamais été pendant sa vie. Grâce à Dieu, il ne connaîtra plus ni la faim ni le froid.

— Vous verrez que j’ai veillé à ce qu’il ne vous manque rien à l’avenir, et j’espère que les jours qui vous restent seront plus heureux que ceux qui se sont écoulés.

— Je suis seule sur la terre à présent ; la vieillesse me fuira, la jeunesse me regardera avec mépris ; il ne me reste que la honte du parjure et de la vengeance !

Le jeune baronnet garda le silence, mais Polwarth crut pouvoir se charger de la réponse.