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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/50

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L’air froid et presque fier qu’avait eu Cécile jusqu’alors avait entièrement disparu lorsqu’elle jeta les yeux sur lui, et elle lui répondit avec un ton de gaieté et de bonne humeur qui lui semblait beaucoup plus naturel :

— Je suis femme, et j’avoue ma faiblesse ; je crois que ce fut du thé qui tenta notre mère commune dans le paradis terrestre.

— Si ce que vous dites était prouvé, dit Agnès, il semblerait que l’artifice du serpent a récemment trouvé des imitateurs, quoique l’instrument de tentation ait un peu perdu de sa vertu.

— Comment le savez-vous ? reprit Lionel en riant, pour prolonger un badinage qui pouvait du moins servir à établir entre eux un peu de familiarité ; si Ève eût fermé l’oreille aux offres du serpent avec autant de soin que vous fermez la bouche lorsque je cherche à faire usage des mêmes armes, nous jouirions encore du bonheur promis à nos premiers parents.

— Oh ! Monsieur, ce breuvage tant vanté ne m’est pas aussi étranger que vous pourriez le supposer, car le port de Boston, comme dit Job Pray, n’est qu’une grosse théière[1].

— Vous connaissez donc Job Pray, mise Danforth ? dit Lionel qui s’amusait beaucoup de sa vivacité.

— Certainement. Boston est si petit, et Job si utile, que tout le monde connaît l’idiot.

— Il appartient donc à une famille très-connue, car il m’a assuré lui-même qu’il n’y avait personne à Boston qui ne connût la vieille et bizarre Abigail sa mère.

— Vous ! s’écria Cécile de la voix douce et mélodieuse qui avait déjà frappé Lionel ; que pouvez-vous savoir du pauvre Job et de sa mère presque aussi malheureuse que lui ?

— Maintenant, Mesdames, je vous y prends, s’écria Lionel ; vous savez résister à la tentation que vous offre ce thé délicieux : mais quelle femme peut résister à l’impulsion de sa curiosité ! Cependant, comme je ne veux pas me montrer cruel avec deux jolies cousines que je connais depuis si peu de temps, je leur avouerai que j’ai eu déjà une entrevue avec Mrs Pray.

Agnès allait répondre lorsqu’elle en fut empêchée par le bruit de quelque chose qui venait de tomber derrière elle ; elle se tourna et vit à terre les morceaux de la belle tasse de porcelaine que Mrs Lechmere venait de laisser tomber.

  1. Cette comparaison de Job Pray se trouve expliquée par la note précédente.