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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/92

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tions moins amicales ! En finissant ces mots, il salua Lionel, et disparut à ses yeux en s’enfonçant sous le passage obscur.

Dès que Lionel se vit seul, il chercha en tâtonnant le chemin de la rue, où il trouva Ralph et l’idiot qui l’attendaient. Sans lui demander la cause de son retard, le vieillard marcha entre ses deux compagnons, et reprit le chemin de la demeure de Mrs Lechmere avec la même indifférence pour la tempête.

— Vous avez pu juger par vous-même de l’esprit qui anime le peuple, dit Ralph après quelques moments de silence ; croyez-vous encore que l’explosion de ce volcan ne soit pas à craindre ?

— Mais tout ce que j’ai vu ce soir me confirme dans mon opinion, répondit Lionel. Des hommes à la veille d’une révolte ne raisonnent point avec tant de justesse et surtout de modération : comment donc ! des gens de la lie du peuple, parmi lesquels se trouvent toujours le foyer de l’incendie, discutent leurs principes constitutionnels, et se tiennent renfermés dans le cercle de la loi, comme pourrait le faire un club de savants jurisconsultes !

— Croyez-vous donc que l’incendie éclatera avec moins de violence, parce que le temps, et non un moment d’effervescence, a préparé ce que vous appelez le foyer de l’incendie ? reprit Ralph. Mais voilà le fruit de l’éducation que nos enfants reçoivent en pays étranger. Le jeune homme élevé à cette école ravale bientôt ses compatriotes francs et modérés au niveau des paysans d’Europe.

Ce fut tout ce que Lionel put comprendre, quoique le vieillard continuât à se parler quelque temps avec véhémence, mais c’était d’un ton trop bas pour être entendu. Lorsqu’ils arrivèrent dans la partie de la ville que connaissait Lionel, son vieux guide lui montra son chemin, et le quitta en disant :

— Je vois que le dernier et l’affreux argument de la force pourra seul vous convaincre de la résolution prise par les Américains de repousser leurs oppresseurs. Que Dieu éloigne de nous cette heure fatale ! mais lorsqu’elle sonnera, ce qui est inévitable, vous reconnaîtrez votre erreur, jeune homme, et j’espère que vous n’oublierez point alors les liens qui vous unissent à votre famille et à votre patrie.

Lionel voulut répondre, mais Ralph ne lui en donna pas le temps ; et avant qu’il eût prononcé un mot, le vieillard, comme un être surnaturel, avait disparu au milieu des torrents de pluie qui continuaient à tomber, tandis qu’on apercevait encore l’idiot