Aller au contenu

Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/37

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’était un jeune homme de vingt-deux à vingt-trois ans, d’une taille au-dessus de la moyenne, et des vêtements duquel on n’apercevait qu’une redingote de gros drap du pays, serrée autour de son corps par une ceinture de laine tricotée. Lorsqu’il était monté dans le sleigh, après avoir passivement consenti à se rendre à Templeton, il fronçait les sourcils, et son air soucieux avait attiré l’attention d’Élisabeth, qui ne savait comment l’expliquer. L’expression de ses yeux n’annonçait nullement qu’il fût content de la démarche qu’on l’avait en quelque sorte forcé à faire ; mais peu à peu ses traits s’adoucirent ; on put voir qu’il avait une physionomie intéressante et même prévenante, et il ne lui resta que l’air d’un homme absorbé dans ses réflexions.

Marmaduke, après l’avoir contemplé quelque temps avec attention, lui dit enfin en souriant : — Je crois, mon jeune ami, que la terreur que j’ai éprouvée en voyant que je vous avais blessé m’a fait perdre la mémoire. Votre figure ne m’est pas inconnue, et cependant, quand on m’assurerait l’honneur d’attacher à mon bonnet, vingt queues de daim, je ne pourrais dire quel est votre nom.

— Je ne suis arrivé dans ce comté, Monsieur, que depuis trois semaines, répondit le jeune homme avec froideur ; et je crois que vous en avez été absent depuis plus longtemps.

— Depuis plus d’un mois, répondit le juge ; mais n’importe, vos traits ne me sont pas étrangers, je vous ai vu quelque part, quand ce ne serait qu’en songe ; il faut que cela soit, ou j’ai l’esprit égaré. Qu’en dis-tu, Bess ? Commencé-je à radoter ? suis-je en état de résumer une affaire au grand jury, ou, ce qui est en ce moment d’une nécessité plus pressante, de faire les honneurs de Templeton la veille de Noël.

— Plus en état de faire l’un et l’autre, mon père, répondit une voix enjouée sortant de dessous le grand capuchon de soie noire, que de tuer un daim avec un fusil de chasse.

Élisabeth se tut, et ajouta ensuite avec un accent bien différent, après un instant de silence : — Nous aurons ce soir plus d’une raison pour rendre au ciel des actions de grâces.

Un sourire un peu dédaigneux se peignit sur les traits du jeune homme quand il entendit l’espèce de sarcasme qu’Élisabeth adressait à son père ; mais il prit un air plus grave quand elle fit la réflexion qui termina son discours. M. Temple lui-même sembla tout à coup se recueillir, et s’occuper péniblement de l’idée qu’il