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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/98

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énorme dindon rôti, et devant Richard on en voyait un bouilli de même taille. Au centre de la table était une paire de grands castors[1] d’argent entourés de quatre entrées, deux de poisson frit et bouilli, et deux fricassées, l’une d’écureuils gris, l’autre de tranches de venaison. Entre ces entrées et les dindons, étaient d’un côté une prodigieuse échinée d’ours rôti, et de l’autre un gros gigot de mouton bouilli. Les plats de légumes étaient innombrables, et l’on y voyait tous ceux que la saison et le pays pouvaient offrir. Quatre plats de pâtisserie de différentes espèces s’élevaient en pyramides aux quatre coins de la table ; huit saucières, placées a égale distance les unes des autres, contenaient des sauces aussi variées par le goût que par la couleur ; enfin des carafes d’eau-de-vie, de rhum, de genièvre, de différents vins, et des pots de bière, de cidre et de flip[2], remplissaient si bien tous les vides, qu’à peine apercevait-on la nappe qui couvrait la table. Le but de l’ordonnatrice paraissait avoir été la profusion, et elle l’avait atteint aux dépens de l’ordre et de l’élégance.

Ni le juge ni aucun des convives ne parurent surpris de l’ordonnance de ce repas ; l’habitude les y avait familiarisés, et chacun commença à donner des preuves d’un appétit qui promettait de ne pas dédaigner les apprêts si bien entendus de Remarquable. Il était pourtant vrai que le major et Richard avaient déjà dîné avant de partir pour aller à la rencontre de M. Temple ; mais l’Allemand, dans ses excursions, avait sans cesse faim et soif, et Richard se faisait un point d’honneur de se mettre toujours au niveau des autres, de quelque affaire qu’il pût être question.

Pendant quelques minutes on n’entendit que le bruit des couteaux et des fourchettes, et ce fut Marmaduke qui prit enfin la parole.

— Richard, dit-il en se tournant vers M. Jones, pouvez-vous m’apprendre quelque chose sur le jeune homme que j’ai eu le malheur de blesser ? Je l’ai trouvé chassant sur la montagne avec Bas-de-Cuir, comme s’ils étaient compagnons et de la même

  1. Ce mot s’écrit toujours au pluriel (castors). C’est le nom qu’on donne en Angleterre à un ustensile à peu près de même forme que nos huiliers ou porte-liqueurs. Il est garni de quatre à dix fioles à bouchons de cristal, dans lesquelles on met du poivre, du sucre, de l’huile, du vinaigre, et des sauces de différentes sortes.
    L’animal que nous appelons castor s’appelle, en anglais, beaver.
  2. Breuvage compose de bière, d’eau-de-vie et de sucre.