Aller au contenu

Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 7, 1839.djvu/159

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou qu’il eût trop d’expérience pour risquer inconsidérément l’aventure. Après s’être avancé jusqu’aux premiers arbres, il s’arrêta tout à coup, tremblant de tous ses membres, et comme hors d’état de-reculer ou d’aller plus avant. Les cris d’encouragement des jeunes gens ne produisirent aucun effet sur lui, et il y répondit que par des aboiements lents et plaintifs. Le plus jeune montra les mêmes symptômes pendant quelques instants, mais, moins prudent ou plus facile à animer que son vieux compagnon, il se détermina enfin à s’élancer en avant, et disparut dans le bois. Un moment après on entendit un hurlement d’alarme, et le chien revenant presque aussitôt sur ses pas, se mit à courir en aboyant autour du petit bois, comme il l’avait déjà fait précédemment.

— Y a-t-il un homme parmi mes enfants ? s’écria Esther à haute voix. Donnez-moi un meilleur mousquet que ce petit fusil de chasse, et je vous ferai voir ce que peut faire le courage d’une femme.

— Attendez, ma mère ! s’écrièrent en même temps Abner et Enoch ; si vous voulez voir l’animal, nous allons le débusquer du bois

Jamais ils ne tenaient de plus longs discours, même dans les occasions les plus importantes ; mais ayant une fois pris cet engagement, ils le remplirent promptement et sans hésiter. Ayant préparé leurs armes avec le plus grand soin, ils entrèrent dans le bois avec courage. Des nerfs moins exercés que ceux de ces jeunes chasseurs auraient tressailli à l’idée des dangers que présentait une aventure si hasardeuse. À mesure qu’ils avançaient, les hurlements des deux chiens devenaient plus aigus, plus mélancoliques et plus prolongés. Les vautours et les buses s’abattaient de manière à toucher de leurs ailes les plus hautes branches des arbres, et le vent sifflait dans la Prairie découverte, comme si les esprits de l’air y étaient aussi descendus pour assister au développement de ce mystère.

Esther, ordinairement si intrépide, sentit tout son sang refluer vers son cœur, et elle pouvait à peine respirer quand elle vit ses deux fils écarter les branches des épais buissons, et disparaître dans le bois. Une pause solennelle s’ensuivit ; deux cris perçants se firent entendre à peu d’intervalle l’un de l’autre, et ils furent suivis d’un silence plus effrayant encore.

— Revenez, mes enfants ! revenez ! s’écria Esther, les sentiments de mère reprenant sur elle tout leur ascendant.