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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 7, 1839.djvu/165

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enfants, et les remercia de leurs services avec un air de dignité qui aurait convenu à un homme mieux élevé. Pendant toute cette cérémonie, qui inspire toujours des réflexious solennelles, il avait conservé un air grave et sérieux. Ses traits prononcés étaient visiblement empreints d’une expression de vif intérêt, mais il ne donna aucun signe de faiblesse avant d’avoir tourné le dos pour toujours, comme il le croyait, au tombeau du premier-né de ses enfants. Mais alors la voix de la nature se fit entendre puissamment au fond de son cœur, et les muscles de son visage austère se relâchèrent visiblement. Ses enfants avaient les yeux fixés sur lui, comme pour chercher à s’expliquer l’émotion extraordinaire qui les agitait eux-mêmes ; mais la lutte intérieure d’Ismaël cessa tout à coup : il s’approcha de sa femme, et la prenant par le bras, il la releva avec autant de facilité que si c’eût été un enfant.

— Esther, lui dit-il d’une voix parfaitement ferme, quoiqu’un observateur attentif eût pu y découvrir un accent plus tendre que de coutume, nous avons fait tout ce qu’un homme et une femme peuvent faire ; nous avons élevé notre enfant ; nous en avons fait un homme tel qu’il s’en trouve peu sur nos frontières, nous lui avons donné un tombeau ; allons-nous-en.

Elle détourna les yeux de la terre qui venait d’être remuée, et appuyant les mains sur les épaules d’Ismaël, elle resta quelques minutes les yeux fixés sur ceux de son mari avec un air d’inquiétude, et lui dit ensuite d’une voix creuse, effrayante et presque étouffée :

— Ismaël ! Ismaël ! vous vous êtes séparé de votre fils avec colère, la dernière fois que vous l’avez vu !

— Puisse le Seigneur lui pardonner ses péchés aussi pleinement que je lui ai pardonné tout ce qu’il a fait de pire, répondit le père d’un ton calme. Femme ! retournez au rocher, et lisez votre Bible. Un chapitre de ce livre vous fait toujours du bien. Vous savez lire, Esther ; ce qui est un privilège dont je n’ai jamais joui.

— Oui, oui, répondit-elle en se laissant entraîner, quoique malgré elle, par la force supérieure du bras de son mari, qui voulait l’éloigner du théâtre de cette scène fatale ; oui, je sais lire ; mais comment ai-je profité de mes connaissances ? Mais lui, Ismaël, il n’a pas à rendre compte du mauvais emploi de sa science ; nous lui avons épargné cela du moins. Est-ce une faveur, est-ce une cruauté ? c’est ce que je ne saurais dire.