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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 7, 1839.djvu/231

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vers, et qu’elles marchaient en masse contre lui, comme pour le punir de la manière dont il avait traité des individus appartenant à leurs genres et espèces, dans les expériences nombreuses qu’il avait faites en étudiant l’anatomie et l’histoire naturelle. La paralysie dont cette idée frappa tout son système nerveux, fut pour lui comme l’effet du cauchemar. Également incapable d’avancer ou de reculer, il semblait avoir pris racine sur l’endroit où il était, et l’esprit de vertige qui s’était emparé de lui fut porté au point que, par un effort désespéré de résolution scientifique, le digne naturaliste commença à chercher à classer les diverses espèces d’animaux par lesquels il se croyait spécialement menacé.

D’un autre côté, Paul poussait de grands cris pour tâcher d’effrayer les bisons, et appelait Hélène pour qu’elle vînt crier avec lui ; mais sa voix se perdait au milieu du bruit occasionné par la marche et le mugissement du troupeau. Excité par ce spectacle étrange qu’il avait sous les yeux, furieux de ce qu’il appelait l’obstination de ces brutes, agité par une crainte vague dans laquelle se confondaient singulièrement l’inquiétude qu’il concevait pour sa maîtresse et l’intérêt que la nature exigeait qu’il prît à lui-même, il ne cessait de crier à son vieil ami de faire quelque chose pour prévenir le danger :

— Allons, vieux Trappeur ! allons, ancien habitant de la Prairie ! voyons vite quelqu’une de vos inventions, ou nous allons tous être écrasés sous une montagne de bosses de buffles.

Le vieillard, qui était resté pendant tout ce temps appuyé sur sa carabine, regardant d’un œil ferme tous les mouvements du troupeau, jugea alors qu’il était temps de frapper son coup. Couchant en joue le bison qui était le plus avancé, avec une agilité qui aurait fait honneur à un jeune homme, il fit feu. L’animal reçut la balle sur le poil épais qui croissait entre ses cornes. Il tomba sur ses genoux ; mais secouant la tête, il se releva sur-le-champ, et le coup qu’il avait reçu ne parut que lui avoir donné une nouvelle activité. Ce n’était plus le moment d’hésiter. Jetant son fusil par terre, le Trappeur étendit les bras, et quittant la lisière du bois, courut hardiment à la rencontre du troupeau qui avançait.

La figure de l’homme, quand elle est soutenue par le courage et la fermeté que l’intelligence seule peut donner, manque rarement d’inspirer le respect et la crainte à tous les animaux d’un ordre supérieur. Les bisons qui étaient en tête reculèrent, et leur marche fut arrêtée un instant. Ceux qui les suivaient se répan-