— Doucement ! doucement ! leur dit-il tout bas ; leurs yeux sont pour l’instant aussi merveilleusement fermés que si le Seigneur les avait frappés d’aveuglement, mais leurs oreilles sont ouvertes. Doucement ! doucement ! Pendant cinquante verges pour le moins, nous ne devons pas aller plus vite qu’au petit pas.
Les cinq minutes d’anxiété qui suivirent parurent un siècle à tous, à l’exception du Trappeur. À mesure que leur vue commençait à s’accoutumer à la nuit, il leur semblait que l’obscurité profonde qui avait suivi l’extinction du feu allait être remplacée par une lumière aussi éclatante que celle du soleil. Cependant le vieillard laissa par degrés les chevaux presser le pas, jusqu’à ce qu’ils fussent arrivés au milieu de l’un des bas-fonds de la Prairie ; alors, se mettant a rire avec son calme ordinaire, il lâcha les brides en disant :
— Maintenant, laissez-les jouer des jambes, mais restez sur la ligne où l’herbe est le plus touffue, pour amortir le bruit.
Il est inutile de dire avec quel empressement ses ordres furent exécutés. En quelques minutes ils avaient gravi et traversé une des élévations irrégulières de la Prairie, après quoi ils continuèrent à fuir au grand galop dans la direction de l’étoile indiquée, comme la barque, battue par le vent, se dirige vers le fanal qui montre la route vers un abri assuré.
CHAPITRE XXII.
n silence aussi morne que celui qui régnait dans les solitudes
que les fugitifs avaient devant eux semblait peser en quelque sorte
sur le lieu qu’ils venaient d’abandonner. En vain le Trappeur lui-même
concentra-t-il toutes ses facultés pour saisir le moindre
bruit qui aurait pu annoncer le fait, si important pour eux, du
commencement des hostilités entre la troupe de Mahtoree et celle
d’Ismaël ; leurs chevaux les emportèrent loin du théâtre de ces
sanglants démêlés, avant que rien eût annoncé s’ils avaient eu