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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 7, 1839.djvu/28

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dans toute la distance, à partir des rives de l’Hudson, il n’y a pas la moitié de ce nombre de lieues où je n’aie mangé de la venaison provenant de ma propre chasse. Mais ce sont de vaines fanfaronnades : à quoi servent les anciennes prouesses lorsque la vie touche à son terme ?

— J’ai rencontré une fois un homme qui avait été en bateau sur la rivière qu’il vient de nommer, dit l’un des enfants en parlant à voix basse, comme quelqu’un qui se défie de ses connaissances, et qui juge prudent de ne parler qu’avec circonspection en présence d’un homme qui en avait tant vu ; à l’en croire, ce doit être un courant considérable, assez profond pour porter les plus grands bateaux.

— Oui, c’est une immense étendue d’eau, et un grand nombre de belles villes s’élèvent sur ses bords, reprit le vieillard, et cependant ce n’est qu’un ruisseau auprès de la Rivière-Sans-Fin.

— Je n’appelle courant que ce dont personne ne saurait faire le tour, s’écria l’homme de mauvaise mine ; une véritable rivière doit être traversée, et non point tournée comme un ours dans une chasse de comté[1].

— Avez-vous été fort loin du côté du coucher du soleil ? demanda l’émigrant en interrompant de nouveau son compagnon morose, comme s’il voulait l’empêcher, autant que possible, de prendre part à la conversation. Je m’aperçois que par ici ce ne sont que clairières interminables.

— Vous pouvez voyager des semaines entières, et vous verrez toujours la même chose. Je pense souvent que le Seigneur a placé cette ceinture aride de prairies derrière les États, pour faire sentir aux hommes à quelle situation déplorable leur folie peut encore ramener le pays. Oui, vous pouvez parcourir pendant des semaines, pendant des mois entiers, ces plaines ouvertes, sans rencontrer aucune habitation, aucune cabane, aucun abri. Il n’est point jusqu’aux animaux sauvages qui n’aient bien des milles à franchir pour trouver leurs repaires ; et pourtant il est rare que le vent souffle de l’est, sans que je croie entendre des coups de hache et un bruit d’arbres qui tombent et terre.

Le vieillard parlait avec autant de noblesse que de gravité, et

  1. Dans les nouvelles contrées, on a l’habitude d’assembler tous les hommes d’un district, et quelquefois d’un comté tout entier, pour exterminer les animaux de proie. On forme un cercle de plusieurs milles d’étendue, et les chasseurs se rapprochent graduellement tuant tout ce qui se rencontre sur leur passage. L’auteur fait allusion à cette coutume, lorsqu’il dit que les animaux de proie doivent être tournés.