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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 7, 1839.djvu/286

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vos yeux sont encore jeunes et ils peuvent valoir mieux que ma misérable vue, quoiqu’il ait été un temps où une nation aussi sage que brave ait cru pouvoir me donner la réputation d’en avoir une bonne ; mais ce temps est passé, et j’ai vu passer de même des amis sincères et éprouvés. Ah ! si je pouvais faire un changement dans les dispositions de la Providence ! Mais je ne le puis et ce serait un blasphème que de le vouloir, vu que toutes choses sont gouvernées par une intelligence bien supérieure à la faiblesse humaine. Si pourtant il m’était permis de souhaiter un changement, ce serait pour que ceux qui ont vécu longtemps ensemble en paix et en amitié, et qui ont prouvé qu’ils étaient faits pour se tenir compagnie en s’exposant aux dangers et en souffrant l’un pour l’autre, pussent abandonner la vie en même temps, quand la mort de l’un laisse à l’autre bien peu de motifs pour désirer de rester dans ce monde.

— Est-ce un Indien que vous voyez ? demanda Middleton avec impatience.

— Peau rouge ou peau blanche, qu’importe ? L’amitié et l’avantage réciproque peuvent attacher les hommes les uns aux autres dans les bois aussi fortement que dans les villes ; et quant à cela, je dirai même plus fortement : voyez les jeunes guerriers des Prairies, ils s’associent souvent deux à deux, ils consacrent leur vie à remplir les devoirs de l’amitié, et ils ne manquent pas d’agir conformément à leurs promesses. La mort de l’un entraîne ordinairement celle de l’autre. J’ai passé une grande partie de ma vie en solitaire, si l’on peut appeler solitaire celui qui a vécu soixante-dix ans dans le sein de la même nature, pouvant à chaque instant ouvrir son cœur à Dieu sans avoir à percer cette enveloppe de malice et de perversité dont il est recouvert dans les habitations ; mais à cela près j’ai été un vrai solitaire, et cependant j’ai toujours trouvé qu’il était agréable d’avoir des relations avec mes semblables, et qu’il était pénible de les rompre, pourvu que l’ami de mon choix fût brave et honnête : brave, parce qu’un camarade poltron dans les bois (et en prononçant ces mots, le Trappeur laissa, sans y faire attention, tomber un regard sur le naturaliste distrait) n’est propre qu’à rendre plus long un chemin court ; et honnête, parce que l’astuce est un instinct des brutes, plutôt qu’un don convenable à la raison d’un homme.

— Mais l’objet que vous avez vu était-ce un Sioux ?

— Que deviendra le monde de l’Amérique, où finiront les ma-