Aller au contenu

Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 7, 1839.djvu/359

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chemin qui conduit aux Prairies bienheureuses ; s’il a jamais un autre père, ce sera ce digne guerrier.

Le Balafré, trompé dans son espérance, s’éloigna du jeune captif, et alla se placer en face de celui qui l’avait ainsi prévenu. Les deux vieillards s’observèrent mutuellement, et cet examen fut long et rempli d’intérêt. Il n’était pas facile de découvrir la véritable physionomie du Trappeur à travers le masque que les rigueurs de tant d’hivers avaient mis sur ses traits, et l’accoutrement bizarre et particulier dont il s’était affublé. Quelques moments s’écoulèrent avant que le Teton prît la parole, et alors même il semblait encore incertain s’il s’adressait à un Indien comme lui ou bien à quelque vagabond de cette race qui, à ce qu’il avait entendu dire, se répondait sur tout le pays comme autant de sauterelles affamées.

— La tête de mon frère est très-blanche, dit-il enfin ; mais l’œil du Balafré n’est plus comme celui de l’aigle. De quelle couleur est sa peau ?

— Le Wahcondah m’a fait comme ceux que vous voyez, qui attendent l’issue d’un jugement, Dahcotah ; mais le beau et le mauvais temps m’ont donné une couleur plus foncée que celle de la peau d’un renard. Qu’importe ? Si l’écorce est fendue et n’est plus reconnaissable, le cœur de l’arbre n’en est pas moins sain.

— Mon frère est un Long-Couteau ! Qu’il tourne la figure vers le soleil couchant, et qu’il ouvre les yeux ; voit-il le lac salé derrière les montagnes ?

— Il y a eu un temps, Teton, où peu d’hommes pouvaient voir le point blanc sur la tête de l’aigle de plus loin que moi ; mais l’éclat de la lumière de quatre-vingt-sept étés a affaibli mes yeux, et je n’ai, guère à me vanter de ma vue dans mes vieux jours. Les Sioux pensent-ils qu’un Visage-Pâle est un dieu, pour qu’il puisse voir à travers les rochers ?

— Eh bien ! que mon frère me regarde ; je suis près de lui, et il peut voir que je ne suis qu’un pauvre homme à peau rouge. Pourquoi son peuple ne vit-il pas partout, puisqu’il veut tout avoir ?

— Je vous comprends, chef, et je ne contesterai point la justice de vos paroles, attendu qu’elles n’ont que trop un fondement de vérité ; mais, quoique né de la race que vous aimez si peu, mon plus cruel ennemi, le mirage même le plus impudent, n’oserait pas dire que j’aie jamais mis les mains sur le bien d’autrui, si ce