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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 7, 1839.djvu/418

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— Ismaël, mon homme, n’avez-vous rien entendu ?

— Chut ! répondit le squatter en appuyant sa main sur l’épaule d’Esther, sans manifester la moindre surprise de sa présence imprévue ; chut ! femme, si vous craignez le Seigneur, restez tranquille.

Un profond silence succéda. Quoique le vent continuât à s’élever et à tomber tour à tour comme auparavant, des cris affreux ne se mêlaient plus à ses sifflements. Les sons étaient imposants et solennels ; mais c’était la solennité et la majesté de la nature dans la solitude.

— Avançons, dit Esther, tout est fini.

— Femme, qui vous a amenée ici ? demanda son mari dont le sang avait repris sa circulation ordinaire, et dont les pensées étaient devenues plus calmes.

— Ismaël, il a immolé notre premier-né ; mais enfin c’est le fils de ma mère, et il n’est pas convenable que son corps reste étendu sur la terre, comme la carcasse d’un chien.

— Suivez-moi, reprit le squatter en saisissant de nouveau son fusil, et en s’avançant vers le roc. La distance qui l’en séparait était encore considérable, et plus ils approchaient de l’endroit fatal, plus une sorte de terreur superstitieuse leur faisait ralentir le pas. Il se passa bien des minutes avant qu’ils fussent assez près du rocher pour pouvoir distinguer la forme des objets.

— Où avez-vous mis le corps ? demanda tout bas Esther. Voyez, j’ai apporté une pioche et une bêche, afin qu’un frère à moi puisse reposer dans le sein de la terre.

La lune sortit en ce moment du sein des nuages, et les yeux d’Esther purent suivre la direction que lui indiquait le doigt de son mari ; elle vit une forme humaine qui flottait au gré du vent, au-dessous de l’une des branches desséchées du saule. À cet affreux spectacle elle baisse la tête et se couvrit les yeux de ses deux mains ; mais Ismaël s’approcha davantage, et contempla longtemps son ouvrage d’un air de stupeur, mais non de regret. Les feuilles du livre saint étaient disséminées à terre, et même une pierre du rocher avait été détachée par Abiram dans son agonie. Mais à présent tout était dans l’immobilité de la mort. Quelquefois la lune donnait en plein sur les traits livides et décomposés de la victime, tandis que dans d’autres moments, lorsque le vent tombait, la corde immobile traçait une ligne sombre sur son disque éclatant. Le squatter leva son fusil avec beaucoup de soin