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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/134

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— Allons, frère, lui dit-il d’un ton amical et confidentiel en secouant la tête en homme qui voulait lui faire voir qu’il avait découvert la ruse dont il avait voulu se servir ; — allons, frère, vous avez couru assez de bordées de ce côté, il est temps de virer de bord. J’ai été jeune aussi dans mon temps, et je sais combien il est difficile d’envoyer le diable au large quand on trouve du plaisir à faire voile en sa compagnie. Mais la vieillesse nous conduit à notre estime[1], et quand la vie d’un pauvre diable est réduite à un quart de ration, il commence à devenir plus économe d’espiègleries, comme on ménage l’eau sur un vaisseau quand on est surpris par un calme, tandis que pendant des semaines et des mois on l’avait prodiguée à en laver les ponts, comme si c’eût été de la pluie. La réflexion vient avec les cheveux gris, et l’on ne se trouve pas mal d’en mettre une petite provision dans sa cargaison.

— J’avais espéré, quand je vous ai laissé descendant la colline tandis que je remontais vers le sommet, dit Wilder, sans même daigner jeter un regard sur son compagnon, dont la société lui était peu agréable, que nous nous étions fait nos adieux pour toujours ; mais puisque vous paraissez préférer les hauteurs, je vous en laisse jouir à loisir, et je vais descendre dans la ville.

Le vieillard le suivit d’un train qui fit que Wilder, qui marchait alors à grands pas, trouva difficile de le laisser en arrière, sans recourir à l’ignoble expédient de fuir à toutes jambes. Dans un mouvement de dépit qui le rendait mécontent de lui-même et de son persécuteur, il fut tenté d’en venir à quelques voies de fait contre celui-ci ; mais, résistant à cette tentation dangereuse et reprenant son sang-froid, il ralentit sa marche et continua sa route avec plus de calme, bien résolu de maîtriser toutes les émotions de son âme.

— Vous aviez mis tant de voiles au vent, mon jeune maître, dit le vieux marin opiniâtre, qui était encore en arrière de deux ou trois pas, qu’il m’a fallu déployer toutes les miennes pour pouvoir marcher de conserve avec vous ; mais puisque vous semblez devenir plus raisonnable, nous pouvons rendre la traversée plus courte par un petit entretien profitable. Vous aviez presque fait

  1. Cette phrase, en langage de marine, désigne le calcul du chemin qu’a fait un navire. La multiplicité des termes nautiques exigerait tant de notes explicatives que nous nous bornons à signaler ceux qui sont équivoques. — Éd.