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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/139

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réponds qu’avant peu nous verrons l’honnête tailleur sortir de quelque grange, aussi frais et aussi prêt à manier les ciseaux que s’il ne s’était mouillé le gosier qu’avec de l’eau claire depuis les dernières réjouissances.

Un rire assez général, sans être bruyant, suivit ce trait d’esprit de taverne, mais il ne put appeler le plus léger sourire sur le visage troublé de Désirée, dont les traits décolorés semblaient abandonnés par tous les muscles destinés à leur donner une expression riante.

— Pas du tout ! pas du tout ! s’écria l’épouse inconsolable du brave homme. Il n’a pas le cœur de se donner du courage en buvant loyalement dans une occasion comme celle d’hier. Une réjouissance en l’honneur de la gloire de sa majesté ! C’était un homme qui ne songeait qu’au travail, et c’est surtout parce qu’il était dur au travail que j’ai sujet de me plaindre. Après avoir été si long-temps accoutumée à compter sur le produit de son ouvrage, n’est-ce pas une croix bien lourde pour une pauvre femme de se voir réduite tout d’un coup à ne pouvoir plus compter que sur elle-même ! Mais je m’en vengerai, s’il existe des lois dans Rhode-Island ou dans les Plantations de la Providence. Qu’il ose tenir sa triste figure loin de mes yeux pendant le temps prescrit par la loi, et quand il reviendra, il se verra, comme plus d’un vagabond s’est vu avant lui, sans femme pour le recevoir, et sans toit pour couvrir son indigne tête[1]. Apercevant alors le visage du vieux marin, qui s’était fait jour jusqu’à elle et qui se trouvait en ce moment à son côté, elle interrompit le fil de son discours pour s’écrier : — Voilà un étranger, un homme qui ne fait que d’arriver dans cette ville ; dites-moi, l’ami, avez-vous rencontré en chemin un vagabond fugitif ?

— J’avais assez de besogne à gouverner ma vieille carcasse sur terre ferme, répondit le vieillard avec beaucoup de sang-froid, sans m’amuser inscrire sur mon livre de loch le nom et le port de toutes les barques que j’ai rencontrées. Cependant, maintenant que vous m’en parlez, je me souviens de m’être trouvé à

  1. Il semblerait, d’après cette déclaration, que certains antiquaires en jurisprudence qui ont prétendu que la société est redevable à Désirée de la manière peu cérémonieuse dont on sait que, même encore aujourd’hui, le nœud nuptial se desserre dans la communauté dont elle était membre, sont entièrement dans l’erreur. Il est évident que ce n’est pas son exemple qui a fait naître cet usage, puisqu’elle y fait clairement allusion comme à une mesure à laquelle avait déjà eu recours l’innocence délaissée de son propre sexe. — Note de l’Auteur.