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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/211

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— J’ai toujours vu la Caroline faire des voies d’eau, quand elle fatigue en allant contre la marée.

— Nous avons des pompes.

— Sans doute, monsieur ; mais, suivant mon humble jugement, il est inutile de vouloir gagner de vitesse sur un vaisseau que le diable commande, s’il n’en fait pas lui-même toute la manœuvre.

— C’est ce qu’on ne peut savoir qu’après l’avoir essayé, monsieur Earing.

— Nous avons fait une épreuve du même genre avec le Hollandais, et je dois dire que non-seulement nous voguions à toutes voiles, mais que nous avions même l’avantage du vent. Et quel en fut le résultat ? Il était toujours là sous ses trois voiles de huniers, son paille-en-cul et son foc, et nous, avec toutes nos bonnettes hautes et basses, nous ne pûmes changer d’un seul pied sa position relative.

— On ne voit jamais le Hollandais dans les latitudes septentrionales.

— Je ne puis dire qu’on l’y ait vu, répliqua Earing avec une sorte de résignation forcée ; — mais celui qui a placé le Voltigeur Hollandais à la hauteur du cap de Bonne-Espérance peut avoir trouvé sa croisière assez profitable pour envoyer un autre navire de même espèce dans ces parages-ci.

Wilder ne répondit rien. Ou il avait assez flatté les craintes superstitieuses de son lieutenant, ou son esprit était trop occupé de son principal objet pour s’appesantir plus long-temps sur un sujet qui y était étranger.

Quoique les vagues que la Caroline avait à rompre successivement retardassent considérablement sa marche, elle eut bientôt fait une lieue au milieu de l’élément furieux. Chaque fois qu’elle plongeait, sa proue divisait une masse d’eau qui, à chaque instant, devenait plus considérable, et se précipitait contre elle avec plus de violence ; et dans plus d’une de ces luttes, le bâtiment en s’avançant était presque enseveli dans quelque vague qu’il lui était également difficile de surmonter ou de pénétrer.

Les marins surveillaient de près les moindres mouvemens de leur navire ; pas un seul homme n’en quitta le pont pendant des heures entières. La crainte superstitieuse qui s’était tellement emparée de l’esprit borné du premier lieutenant n’avait pas tardé à faire sentir son influence jusque sur le dernier mousse de l’é-