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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/225

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nistre, contre les changemens subits et en apparence déraisonnables qui s’opéraient dans l’esprit de leur capitaine.

Wilder resta aussi indifférent qu’auparavant à tous ces symptômes de mécontentement. S’il entendit ces murmures, il dédaigna d’y faire attention, ou, guidé par une politique qui voulait temporiser, il préféra avoir l’air de ne pas les entendre. Cependant le navire, comme un oiseau qui avait fatigué ses ailes en luttant contre un ouragan, et qui, cessant de résister au vent, prend un vol plus facile, voguait rapidement en fendant les vagues, ou en descendant avec grâce dans les creux qu’elles formaient, tandis qu’il cédait à l’impulsion du vent que la manœuvre qu’on venait de faire avait rendu favorable. La mer continuait à rouler, mais dans une direction qui n’était plus contraire à la marche du bâtiment, et comme il n’avait plus à lutter contre la brise il était plus en état de porter la quantité de voiles qu’on avait déployées. Cependant l’opinion de tout l’équipage était qu’il en portait encore trop pendant une nuit dont l’aspect était si menaçant. Mais l’étranger qui était chargé d’en gouverner le cours ne partageait pas cet avis. D’une voix qui semblait avertir ses inférieurs du danger de la désobéissance, il donna ordre qu’on déployât encore tour à tour plusieurs bonnettes. Recevant ainsi une nouvelle impulsion, la Caroline semblait voler sur les ondes, et laissait derrière elle une longue traînée d’écume dont le volume et l’éclat égalaient celle qui couronnait les plus hautes vagues.

Lorsqu’on eut étendu voile sur voile, au point que Wilder fut obligé de s’avouer à lui-même que la Royale Caroline ne pouvait en porter davantage, notre aventurier recommença à se promener sur le pont, et jeta les yeux autour de lui pour voir ce qu’il avait gagné à cette nouvelle épreuve. Le changement de marche du bâtiment marchand de Bristol en avait produit une semblable dans la direction apparente du navire inconnu, qui flottait encore à l’horizon comme une ombre faible et presque indistincte. L’infaillible compas disait encore au vigilant marin que ce vaisseau continuait à maintenir la même position relative que lorsqu’on l’avait vu pour la première fois, et tous les efforts de Wilde semblaient ne pouvoir la changer d’un seul pouce[1]. Une autre heure se passa bientôt et pendant ce temps, comme le loch l’en assura, la Caro-

  1. Le lecteur fera attention que la direction apparente d’un vaisseau en mer, vue du pont d’un autre vaisseau, change avec le changement de course, mais que la direction véritable ne varie que par un changement de position relative. — Éd.