Aller au contenu

Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/229

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment de pause pendant lequel tout l’équipage semblait respirer à peine, comme s’il était frappé de stupeur. Tous les yeux étaient tournés vers la partie de l’horizon où l’on avait découvert les indices sinistres, et chacun s’efforçait d’y lire l’avenir avec une intelligence proportionnée au degré d’instruction qu’il pouvait avoir acquise pendant son temps de service sur le perfide élément qui était alors sa patrie. La trace obscure du vaisseau inconnu avait été effacée par une clarté douteuse qui, en ce moment, s’étendait sur la mer comme une vapeur flottante, surnaturelle, et en apparence accessible au toucher. L’océan lui-même semblait averti qu’un changement prompt et violent s’approchait. Les vagues avaient cessé de se briser en lames brillantes et écumeuses ; on voyait de noires masses d’eau élever leurs pointes menaçantes vers l’horizon oriental, non plus en lançant comme de brillantes étincelles, ou en s’entourant d’une atmosphère transparente. La brise qui avait été si fraîche, et qui avait même soufflé avec une force presque égale à celle d’un léger tourbillon, devenait incertaine et semblait enchaînée par la force plus puissante qui s’amassait sur les rivages de la mer du côté du continent voisin. À tout moment le souffle du vent d’est perdait de son intensité, et devenait de plus en plus faible, jusqu’à ce qu’après un intervalle extrêmement court, on entendit les voiles pesantes frapper contre les mâts : un calme effrayant et sinistre s’ensuivit. En ce moment une lumière soudaine, sillonnant la mer, éclaira l’affreuse obscurité de l’océan et un bruit semblable à un éclat de tonnerre retentit au loin sur les eaux. Les matelots tournèrent les uns vers les autres leurs regards interdits, et restèrent dans la stupeur comme s’ils avaient reçu du ciel même un avertissement de ce qui allait arriver. Mais leur commandant, calme et plus pénétrant, donna un sens différent à ce signal. Il serra les lèvres avec tout l’orgueil de sa profession, et les mouvemens de sa bouche étaient rapides, tandis qu’il se disait avec une sorte de dédain : — Croit-il que nous dormons ? — Oui, il y a été pris lui-même, et il voudrait à présent nous ouvrir les yeux sur ce qui se prépare. À quoi pense-t-il donc que nous ayons été occupés depuis qu’on a relevé le dernier quart ?

Alors Wilder fit un ou deux tours sur le tillac, sans cesser de porter les yeux d’une extrémité du ciel à l’autre, les promenant tantôt sur les eaux noires et endormies sur lesquelles voguait le navire, et tantôt sur ses voiles ; tantôt sur l’équipage silen-