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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/236

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Wilder ne fit aucune résistance, mais il reprit son attitude de vigilance et de réflexion, avec la tranquillité d’un homme accoutumé lui-même depuis trop long-temps à ne jamais marchander avec son devoir pour s’étonner qu’un autre en fît autant que lui.

Cependant Earing se mit promptement à exécuter ce qu’il venait de promettre. Passant au milieu du vaisseau, il se munit d’une hache convenable, et alors, sans dire un mot à aucun des matelots muets et attentifs, il s’élança aux agrès de misaine, dont chaque toron, chaque fil de caret était serré par l’ouragan de manière presque à se rompre. Les yeux intelligens de ceux qui l’observaient comprirent son intention, et précisément avec ce même orgueil de profession qui l’avait poussé à cette dangereuse entreprise, quatre ou cinq des plus vieux marins se jetèrent sur les enfléchures pour monter avec lui vers un ciel gros de tempêtes.

— Descendez de ces agrès ! leur cria Wilder à travers un porte-voix ; descendez tous, excepté le lieutenant ! descendez ! Ses paroles arrivèrent aux oreilles des compagnons d’Earing aussi animés que mortifiés ; mais elles ne produisirent aucun effet. Chacun était trop occupé de l’objet qu’il poursuivait avec ardeur pour obéir à la voix qui le rappelait. En moins d’une minute, tous se furent répandus sur les vergues, préparés à agir au premier signal de leur officier. Le lieutenant jeta un regard autour de lui, et voyant le temps comparativement favorable, il frappa un coup sur la large corde qui attachait à la vergue inférieure un des coins de la voile enflée et prête à rompre. L’effet fut à peu près celui qu’on produirait en faisant sauter la pierre fondamentale d’une voûte peu solide. La toile brisa tous ses liens avec fracas, et on la vit un instant flotter en l’air en avant du vaisseau, comme si elle était soutenue sur les ailes d’un aigle. Le vaisseau s’éleva sur une lame pesante, et retomba lourdement par-dessus la vague, enfoncé à la fois par son propre poids et par la violence de l’ouragan. En ce moment critique, tandis que les marins grimpés sur les agrès regardaient encore du côté où la voile venait de disparaître, une ride des agrès inférieurs se brisa avec un bruit qui retentit jusqu’aux oreilles de Wilder.

— Descendez ! cria-t-il d’une voix terrible à travers un porte-voix, descendez par les étais ! descendez ! Il y va de votre vie, tous tant que vous êtes ! descendez !

Un seul d’entre eux profita de l’avis, et se laissa glisser jusque sur le tillac avec la rapidité du vent. Mais les cordes se brisaient