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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/288

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mais c’était toujours avec une distraction qui prouvait que cette vue ne faisait sur son esprit qu’une impression vaine et légère. Les regards qu’il jetait de temps en temps sur Mrs Wyllys et sur sa belle et intéressante pupille trahissaient les pensées qui l’agitaient intérieurement. C’était seulement d’après ces coups d’œil rapides, mais expressifs, que l’on pouvait jusqu’à un certain point soupçonner l’origine des sentimens qui le dominaient ; encore, le plus fin observateur eût-il eu de la peine à prononcer sur le caractère véritable des émotions qui régnaient dans son esprit. Il y avait des momens où l’on aurait pu supposer que quelque passion profane et impie commençait à prendre l’ascendant ; mais bientôt, lorsque son œil se portait rapidement sur les traits plus mûrs et plus graves, quoique encore attrayans, de la gouvernante, il ne fallait pas être très habile pour lire à la fois dans ses regards l’incertitude et le respect.

Pendant qu’il était ainsi absorbé, les jeux allaient toujours leur train, accompagnés quelquefois d’incidens assez comiques pour arracher un sourire même aux lèvres de Gertrude à demi effrayée, mais toujours avec une tendance de plus en plus prononcée vers les voies de fait, qui pouvaient d’un moment à l’autre anéantir la discipline d’un vaisseau où il n’y avait, pour soutenir l’autorité, d’autres moyens que ceux que les officiers pouvaient employer à l’instant.

L’eau avait été répandue avec tant de profusion, que les ponts en étaient inondés, et que plus d’un flot d’écume avait même envahi l’enceinte privilégiée de la poupe. Toutes les ruses ordinaires en de pareilles scènes avaient été employées par les hommes des mâts, pour tourmenter leurs compagnons moins avantageusement placés, et ceux-ci avaient pris leur revanche par tous les moyens qu’ils avaient pu imaginer. Ici on voyait un waister et un cochon se balancer l’un contre l’autre suspendus sous un mât ; là un soldat de marine, attaché au milieu des agrès, était obligé de souffrir les manipulations d’un petit singe qui, dressé à cet emploi et armé d’un rasoir, était placé sur son épaule, l’air aussi grave et l’œil aussi observateur que s’il avait été élevé régulièrement dans l’art du perruquier ; partout enfin quelque farce en action proclamait la liberté licencieuse accordée momentanément à une classe d’hommes qui étaient généralement tenus dans cet état de contrainte que le bon ordre autant que la sûreté rend indispensable à bord d’un vaisseau de guerre.