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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/327

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jectures auxquelles elles s’était livrée d’abord, ainsi que dans la conduite extraordinaire des hommes de l’équipage, s’éclaircissait à chaque instant de plus en plus. Elle reconnut alors, dans la personne du Corsaire, les traits de l’individu qui avait parlé au vaisseau marchand de Bristol du haut des agrès du négrier, traits qui s’étaient représentés sans cesse à son esprit depuis qu’elle était sur son vaisseau, comme lui retraçant une image confuse et éloignée. Elle conçut alors pourquoi Wilder montrait tant de répugnance à dévoiler un secret qui non seulement intéressait sa vie, mais qui, pour une âme qui n’était pas endurcie dans le vice, entraînait une perte non moins cruelle, celle de leur estime. Bref, une grande partie de ce que le lecteur a compris sans peine commençait à devenir également clair pour la gouvernante, quoiqu’il restât encore bien des points qu’elle ne pouvait ni résoudre ni bannir entièrement de sa pensée. Elle eut le loisir de faire rapidement toutes ces réflexions, car son hôte ne semblait nullement disposé à interrompre sa courte et triste rêverie.

— Il est étonnant, reprit enfin Mrs Wyllys, que des êtres aussi grossiers soient sous l’influence des mêmes attachemens que ceux qui unissent entre eux les personnes qui ont de l’éducation.

— C’est étonnant, vous avez raison, répliqua le Corsaire, comme s’il se réveillait d’un songe. Je donnerais mille des plus belles guinées qui aient jamais été frappées à l’effigie de George II pour connaître l’histoire de la vie de ce jeune homme.

— Est-il donc un étranger pour vous ? demanda vivement Gertrude.

Le Corsaire tourna sur elle un regard qui demeura fixe un moment, mais dans lequel le sentiment et l’expression revinrent insensiblement, de manière à produire un tremblement nerveux dans tous les membres de la gouvernante.

— Qui peut se flatter de connaître le cœur de l’homme ? répondit-il en inclinant de nouveau la tête, comme pour reconnaître les droits qu’elle avait à tous ses hommages. Tous les hommes sont des étrangers pour nous, jusqu’à ce que nous sachions lire dans leurs plus secrètes pensées.

— C’est un privilège accordé à peu de personnes que de pouvoir pénétrer les secrets du cœur humain, dit froidement La gouvernante. Il faut avoir une grande habitude et une connaissance