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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/337

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vaient très bien qu’il ne les conduisait pas au port qu’elles désiraient. Gertrude pleurait en pensant au chagrin que son père éprouverait lorsqu’il croirait qu’elle avait partagé le sort du vaisseau marchand de Bristol ; mais elle répandait ses larmes en secret, ou dans le sein de sa gouvernante, qui partageait avec elle ses douleurs. Elle évitait Wilder, dans l’idée qu’il n’était plus tel qu’elle avait voulu se le persuader ; mais aux yeux de toutes les personnes du vaisseau elle s’efforçait de conserver un extérieur égal et serein. Dans cette conduite, beaucoup plus sûre que ne l’eût été toute supplication, elle était fortement soutenue par sa gouvernante, à qui la connaissance qu’elle avait des hommes avait appris de bonne heure que la vertu n’est jamais plus imposante dans les momens d’épreuve que lorsqu’elle sait conserver sa sérénité. D’un autre côté, le commandant du vaisseau et son lieutenant ne cherchaient à avoir de rapports avec les dames qu’autant que la politesse paraissait absolument l’exiger.

Le premier, comme se repentant déjà d’avoir mis si découvert la bizarrerie de son caractère, se concentra insensiblement en lui-même, ne cherchant à se familiariser avec personne, et ne permettant pas qu’on se familiarisât avec lui ; tandis que l’air contraint de la gouvernante et le changement qui s’était opéré dans les manières de sa pupille n’avaient pas échappé à Wilder. Il avait besoin de peu d’explication pour connaître la cause de ce changement. Cependant, au lieu de chercher les moyens de se disculper, il préféra imiter leur réserve. Il n’en fallait guère plus pour confirmer ses anciennes compagnes dans tous leurs soupçons ; car Mrs Wyllys convenait elle-même qu’il agissait comme une personne en qui la dépravation n’avait pas fait encore assez de progrès pour l’empêcher de se rendre justice.

Nous ne nous arrêterons pas à parler des regrets que Gertrude éprouva naturellement lorsqu’elle dut enfin admettre cette triste conviction, ni des souhaits qu’elle crut pouvoir former dans l’innocence de son cœur pour qu’une personne qui possédait certainement tant de qualités nobles et généreuses pût bientôt reconnaître ses erreurs, et revenir à un genre de vie plus conforme aux dons heureux que sa froide et prudente gouvernante convenait qu’il avait reçus de la nature. Peut-être les tendres émotions qui s’étaient élevées dans son sein, par suite des événements qui s’étaient passés depuis quinze jours, ne se bornaient-ils pas à de simples vœux, et que des demandes plus directes et même plus ferventes