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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/347

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dame, qu’un vaisseau qui est près de couler bas fait ses lamentations aussi bien que toute autre chose vivante.

— Oui, je le sais, répondit la gouvernante en tressaillant. Je les ai entendues, et jamais ma mémoire n’en perdra le souvenir.

— Oui, je pensais bien que vous pourriez en savoir quelque chose, et ce sont des lamentations solennelles celles-là ! Mais comme la carcasse continuait à se maintenir en l’air, et que rien n’annonçait qu’elle dût couler à fond, je commençai à croire que la meilleure chose était de faire un trou à la poupe, pour m’assurer si quelque malheureux n’avait pas été surpris dans son hamac, dans le moment où elle chavira. Or donc, avec la bonne volonté et une hache, nous sûmes bientôt d’où venaient ces gémissemens.

— Vous trouvâtes un enfant !

— Et sa mère, madame. Par bonheur, ils étaient du bon côté, et l’eau n’était pas encore parvenue jusqu’à eux. Mais le manque d’air et de nourriture pensa leur être fatal. La dame était à l’agonie lorsque nous la retirâmes de là ; et quant à l’enfant, que vous voyez maintenant là-bas, sur ce canon, tout robuste, tout superbe qu’il vous paraît à présent, il était dans un si triste état, madame, que nous eûmes bien de la peine à lui faire évaluer la goutte de vin et d’eau que le Seigneur nous avait laissée, pour que, comme je l’ai souvent pensé depuis, il devînt ce qu’il est actuellement, l’honneur de l’océan !

— Mais la mère ?

— La mère avait donné le seul morceau de biscuit qu’elle avait à son enfant, et elle mourait pour tâcher de prolonger l’existence du petit être auquel elle avait donné le jour. C’est une chose dont je n’ai jamais bien pu me rendre compte, madame, qu’une femme, qui n’a pas plus de force qu’un enfant, puisse se voir mourir aussi tranquillement, lorsque plus d’un brave marin se battrait pour un brin d’air que le Seigneur pourrait juger à propos de donner. Mais elle était là, blanche comme la voile long-temps battue par la tempête, ayant son bras desséché passé autour du cou de son enfant, et tenant dans sa main la misérable bouchée qui aurait pu la faire vivre encore un peu de temps.

— Que fit-elle lorsque vous la conduisîtes à l’air ?

— Ce qu’elle fit ! répéta Fid, dont la voix devenait rauque et oppressée ; elle fit une chose diablement touchante : elle donna à l’enfant la miette de biscuit, et nous fit signe, aussi bien qu’elle