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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/410

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— D’un boucanier ! répéta le commandant en ouvrant en même temps les yeux et la bouche.

— Capitaine Bignall, dit Wilder, je puis avoir commis une faute qui n’admet pas de pardon, en gardant si long-temps le silence ; mais quand vous entendrez mon récit, vous y trouverez quelques incidens qui seront mon excuse. Le navire que vous voyez est celui du fameux Corsaire Rouge. Écoutez-moi, je vous en conjure par toutes les bontés que vous avez eues pour moi si long-temps, et vous me blâmerez ensuite si vous le jugez à propos.

Les paroles de Wilder, jointes à son air mâle et sérieux, retinrent le sentiment d’indignation qui s’élevait dans l’âme du vétéran irritable. Il écouta gravement et avec attention le récit que son lieutenant se hâta de lui faire avec autant de précision que de clarté, et avant que celui-ci eût fini de parler, il était plus d’à moitié dans les sentimens de gratitude et certainement de générosité qui avaient inspiré au jeune marin tant de répugnance à faire connaître le véritable caractère d’un homme qui en avait agi si loyalement avec lui. Quelques exclamations de surprise interrompirent de temps en temps la narration ; mais au total Bignall réprima son impatience d’une manière très remarquable pour un homme de son caractère.

— Cela est vraiment merveilleux ! s’écria-t-il quand Wilder eut fini son histoire ; et c’est bien dommage qu’un si grand homme soit un si grand coquin. Mais malgré tout cela, Harry, nous ne pouvons souffrir qu’il nous échappe ; notre loyauté et notre religion nous le défendent. Il faut virer de bord et lui donner la chasse ; et si de belles paroles ne peuvent le mettre à la raison, je ne vois d’autre remède que d’en venir aux coups.

— Je crois que nous ne ferons en cela que notre devoir, monsieur, dit le jeune homme en soupirant.

— C’est un cas de conscience. Et ainsi le jeune bavard, qu’il m’a envoyé n’est pas capitaine, après tout. Cependant il avait l’air et les manières d’un gentilhomme ; il est impossible de me tromper à cet égard. Je réponds que c’est quelque jeune réprouvé de bonne famille ; sans quoi il n’aurait jamais pu si bien jouer la fatuité. Il faut tâcher de garder le secret sur son nom, monsieur Arche, afin de ne pas déshonorer sa famille. Nos colonnes aristocratiques, quoique un peu dégradées et détériorées, sont pourtant les piliers du trône, et il ne nous convient pas de permettre à des yeux vulgaires de s’apercevoir de leur peu de solidité.