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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/429

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— Ferai-je ferler les voiles ou prendre des ris ? demanda Wilder le porte-voix en main, prêt à donner l’ordre nécessaire.

— Un instant, monsieur ; dans une minute nous y verrons mieux.

Le lieutenant attendit, car il voyait déjà que le voile qui leur cachait leur situation réelle était sur le point de se soulever. La fumée qui était restée si long-temps sur le pont, comme pressée par le poids de l’atmosphère, commençait alors à s’élever, et on la vit former des guirlandes le long des mâts, et s’éloigner ensuite, chassée par un vent impétueux. Il fut alors possible de voir tout autour du vaisseau.

En place de ce soleil glorieux et de ce firmament brillant et azuré qui s’offrait aux regards une demi-heure auparavant ; le ciel était couvert d’un immense voile noir. La mer réfléchissait cette couleur sinistre et paraissait sombre et courroucée. Les vagues avaient perdu leur mouvement régulier, et elles avaient une oscillation incertaine, comme si elles eussent attendu l’impulsion de cette force qui devait leur donner leur direction et une nouvelle violence. Les éclairs qui fendaient les nuages ne se suivaient pas rapidement, mais ils arrivaient avec majesté, et brillaient d’un éclat éblouissant ; ils étaient accompagnés de ce terrible tonnerre des tropiques qu’on peut sans profanation se représenter comme la voix de celui qui a créé l’univers, parlant aux créatures qu’il a tirées du néant. De tous côtés on voyait l’apparence d’une lutte sérieuse et formidable entre les élémens. Le navire du Corsaire voguait légèrement devant une brise descendue des nuages ; ses voiles étaient carguées, et son équipage s’occupait avec autant de calme que d’activité à réparer les avaries qu’il avait souffertes pendant le combat.

Il n’y avait pas un moment à perdre pour imiter l’exemple des prudens flibustiers. La proue du Dard fut à la hâte et heureusement tournée dans une direction contraire à la brise, et tandis qu’il commençait à marcher du même côté que le Dauphin, on essaya de rattacher aux vergnes ses voiles déchirées et presque hors de service. Mais un temps précieux avait été perdu pendant qu’on était enseveli dans un nuage de fumée, et il était impossible de le regagner. La mer changea de couleur, et au lieu d’un vert foncé prit un blanc étincelant. Enfin, on entendit les sifflemens de l’ouragan qui arrivait à travers les ondes avec une violence irrésistible.