Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/452

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Depuis ce temps l’histoire du redoutable Corsaire Rouge se perdit par degrés dans les incidens plus nouveaux de ces mers fécondes en souvenirs ; mais long-temps près, le marinier, pour abréger les longs quarts de la nuit, racontait encore des entreprises d’une audace incroyable qu’on disait avoir été exécutées sous ses auspices. La rumeur publique ne manquait pas de les embellir et de les dénaturer, jusqu’à ce que le caractère, et le nom même du Corsaire, fût confondu avec ceux des auteurs d’atrocités semblables. Il se passait aussi des scènes d’un intérêt plus noble et plus relevé sur le continent occidental, bien propres à effacer le souvenir d’une légende qui, aux yeux de bien des personnes, passait pour bizarre et improbable. Les colonies anglaises de l’Amérique septentrionale s’étaient révoltées contre la métropole, et, après une longue guerre, la question allait se décider en leur faveur, Newport, où se passe la première scène de cette histoire, avait été occupé successivement par les troupes du roi et par celles de ce monarque qui avait envoyé l’élite de ses chevaliers pour aider à dépouiller son rival de ses vastes possessions.

Ce beau port avait reçu des flottes ennemies, et les paisibles maisons de campagne avaient souvent retenti des cris de joie et de débauche des jeunes officiers. Plus de vingt ans s’étaient écoulés après les événemens rapportés dans ce volume, lorsque Newport célébra dans ses murs un nouveau jour de fête et de nouvelles réjouissances. Les forces combinées des alliés avaient forcé le chef le plus entreprenant des troupes anglaises à se rendre, lui et son armée. On croyait que la lutte était terminée, et les dignes habitans avaient, suivant leur usage, manifesté leur joie par les démonstrations les plus positives. Néanmoins les réjouissances cessèrent avec le jour, et, lorsque la nuit commença à venir, la petite ville reprit sa tranquillité toute provinciale. Une belle frégate, qui était à l’endroit même où le vaisseau du Corsaire a été vu pour la première fois, avait déjà baissé les nombreux étendards dont elle avait orné ses mâts pour célébrer la fête. Un pavillon de couleurs diverses, et portant une constellation d’étoiles nouvelles et brillantes, flottait seul à son pic. Précisément dans cet instant un autre croiseur, mais beaucoup moins grand, entra dans la rade, portant aussi les couleurs des nouveaux états. Ayant la marée contraire, et abandonné par la brise, il jeta bientôt l’ancre dans le détroit, entre Connecticut et Rhodes, et l’on vit une barque conduite par six rameurs vigoureux, se diriger vers