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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/95

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nouveau en long et en large dans l’appartement, de trop se fier à un air de franchise et à un enthousiasme de jeune homme. Je me trompe fort si le brave garçon n’a pas de bonnes raisons pour se trouver dégoûté du monde et pour s’embarquer dans la première entreprise qui lui semble romanesque. Mais néanmoins la moindre trahison serait fatale ; aussi serai-je prudent, et même jusqu’à l’excès. Il est singulièrement attaché à ces deux matelots. Je voudrais savoir son histoire. Mais tout cela viendra en temps et lieu. Il faut que ces gens restent en otage, et me répondent de son retour et de sa fidélité. S’il arrive qu’il m’ait trompé, eh bien ! ce sont des matelots, et l’on a besoin de beaucoup d’hommes dans la vie aventureuse que nous menons. Tout est bien réglé, et aucun soupçon d’un complot de notre part ne blessera l’amour-propre irritable du brave garçon, s’il est, comme j’aime à le croire, un homme d’honneur.

Telles étaient en grande partie les pensées auxquelles se livra le Corsaire Rouge pendant quelques minutes, quand le général l’eut quitté. Ses lèvres remuaient ; des sourires de satisfaction et de sombres nuages se succédaient tour à tour sur sa physionomie expressive, où se peignaient tous les changemens soudains et violens qui annoncent le travail d’un esprit intérieurement occupé. Tandis qu’il était ainsi enfoncé dans ses réflexions, son pas devenait plus rapide, et de temps en temps il gesticulait d’une manière presque folle, quand tout à coup il se trouva, au moment où il s’y attendait le moins, en face d’un objet qui apparut à ses yeux comme une vision.

Tandis qu’il était plongé le plus profondément dans ses méditations, deux forts marins étaient entrés dans la cabine sans qu’il s’en aperçût, et, après avoir déposé silencieusement un être humain sur un siège, ils étaient sortis sans proférer une parole. C’était devant cette personne que se trouvait alors le Corsaire. Ils se regardèrent quelque temps l’un l’autre sans dire un seul mot. La surprise et l’indécision rendait le Corsaire muet, tandis que l’étonnement et l’effroi semblaient avoir littéralement glacé les facultés de l’autre. À la fin le premier laissant percer un instant sur ses lèvres un sourire fin et moqueur, dit brusquement :

— Soyez le bien-venu, sir Hector Homespun.

— Les yeux du tailleur éperdu, car c’était précisément ce pauvre diable qui était tombé dans les filets du Corsaire, roulaient de