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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/253

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années depuis que les sauvages, soit Mohawks ou Narrangansetts, soit Pequots ou Wampanoags, sont venus attaquer notre établissement par esprit de vengeance. Nous étions alors enfants, Marthe, et c’est comme un enfant que j’ai toujours pensé à cette scène terrible. De même que toi, notre petite Ruth n’avait alors que sept à huit ans ; et je ne sais quelle est la folie qui fait que je ne puis jamais penser à ma sœur que comme à une enfant de cet âge.

— Sûrement, tu sais que le temps ne peut s’arrêter, et c’est une raison de plus pour que nous tâchions de l’employer de manière…

— C’est ce que notre devoir nous apprend. Mais je te dis, Marthe, que lorsque mes rêves me présentent l’image de Ruth, comme cela m’arrive quelquefois, c’est toujours sous les traits d’une enfant folâtre et enjouée, telle qu’elle était alors, que je me la figure ; et même tout éveillé, je m’imagine quelquefois la voir assise sur mes genoux, comme c’était sa coutume quand elle écoutait quelqu’un de ces contes dont on amuse l’enfance.

— Mais nous sommes nées toutes deux la même année et le même mois, Mark. Penses-tu aussi à moi comme à une enfant de sept à huit ans ?

— Quelle différence ! Ne vois-je pas que les années ont fait de toi une femme ; que tes petits cheveux bruns et bouclés sont devenus cette belle et longue chevelure noire qui te sied si bien ; que ta taille s’est élancée, et que le temps t’a donné, — je ne le dis pas pour te faire un compliment, car tu sais que ma langue n’est pas flatteuse, — tous les attraits qu’on peut trouver réunis dans une femme ? Mais il n’en est pas de même, ou, pour mieux dire, il n’en était pas de même de ma sœur. Depuis la nuit où elle a été arrachée de nos bras par ces cruels sauvages, je n’ai jamais pu me la représenter sous d’autres traits que ceux qui lui appartenaient quand elle n’était encore qu’une gentille enfant, la compagne innocente de nos jeux.

— Et qui a changé cette agréable image de notre chère Ruth ? demanda Marthe se détournant à demi pour cacher une rougeur encore plus vive occasionnée par ce qu’elle venait d’entendre. Je pense souvent à elle, et je la vois telle que tu viens de la décrire. Je ne sais pourquoi nous ne pourrions pas croire que, si elle vit, elle est tout ce que nous pouvons désirer.

— Impossible ! L’illusion a disparu, et il ne reste en place