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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/382

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Ce désir fut exaucé, et pendant l’espace d’une minute on entendit cette même voix enfantine répéter lentement et distinctement une de ces prières adaptées au premier âge de la vie. Bien que ces sons fussent faibles, chaque intonation en fut entendue jusqu’au moment où la prière touchait à son terme, alors il se fit un calme solennel. Ruth souleva sa fille, et vit sur son visage la tranquillité qui règne sur celui d’un enfant endormi. La vie se jouait sur ses traits, comme la flamme autour de la torche qui va s’éteindre. Enfin, les yeux de Narra-Mattah, doux comme ceux d’une colombe, se levèrent et s’arrêtèrent sur le visage de Ruth ; le chagrin de la mère fut adouci un instant par un sourire d’intelligence et d’amour ; puis les regards de Narra-Mattah parcoururent le cercle qui était autour d’elle, s’arrêtant sur chaque visage, et exprimant le plaisir qu’elle avait à reconnaître d’anciens amis. Lorsqu’ils se fixèrent sur Whittal Ring, ils devinrent embarrassés et indécis ; mais lorsqu’ils rencontrèrent l’œil fixe, sombre, et toujours altier du chef, ils s’arrêtèrent pour jamais. Il y eut un instant où la crainte, le doute, et quelque chose de sauvage, semblèrent combattre ses anciens souvenirs. La main de Narra-Mattah trembla, et saisit avec convulsion la robe de Ruth.

— Ma mère, ma mère ! murmura la victime de tant d’émotions diverses, un malin esprit m’obsède ; je vais prier encore.

Ruth sentit la force de cette étreinte convulsive ; elle entendit quelques paroles inintelligibles, et la voix se tut ; la main retomba. Lorsqu’on eut éloigné la mère presque inanimée du corps de son enfant, les deux époux qui avaient cessé de vivre semblèrent se regarder l’un l’autre avec une mystérieuse et céleste intelligence. Les yeux du Narragansett étaient remplis de fierté, comme au temps de sa grandeur ; on eût dit qu’ils défiaient encore leur ennemi, tandis que ceux de la jeune fille, qui pendant si longtemps avait été protégée par sa bonté, laissaient apercevoir un embarras et une timidité qui n’étaient pas dépourvus d’espérance. Un calme solennel succéda, et lorsque Meek éleva de nouveau la voix dans le désert, ce fut pour demander au maître du ciel et de la terre de donner du courage à ceux qui survivaient.


Le changement qui s’est opéré sur le continent d’Amérique pendant un siècle et demi est surprenant.

Des cités se sont élevées dans les lieux les plus déserts, et il