Aller au contenu

Page:Coppée - Discours de réception, 1884.djvu/22

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Salut, toi qu’en naissant l’homme aurait adoré !
Notre âge, qui se rue aux luttes convulsives,
Te voyant immobile a douté que tu vives,
Et ne reconnaît plus en toi d’hôte sacré.

Ah ! moi je sens qu’une âme est là sots ton écorce :.
Tu n’as pas nos transports et nos désirs de feu,
Mais tu rêves, profond et serein comme un dieu ;
Ton immobilité repose sur ta force.

Salut ! Un charme agit et s’échange entre nous.
Arbre, je suis peu fier de l’humaine nature ;
Un esprit revêtu d’écorce et de verdure
Me semble aussi puissant que le nôtre et plus doux.

Verse à flots sur mon front ton ombre qui m’apaise ;
Puisse mon sang dormir et mon corps s’affaisser ;
Que j’existe un moment sans vouloir ni penser :
La volonté me trouble, et la raison me pèse.

Je souffre du désir, orage intérieur ;
Mais tu ne connais, toi, ni l’espoir ni le doute,
Et lu n’as su jamais ce que le plaisir coûte ;
Tu ne l’achètes pas au prix de la douleur.

Quand un beau jour commence et quand le mal fait trêve
Les promesses du ciel ne valent pas l’oubli ;
Dieu même ne peut rien sur le temps accompli ;
Nul songe n’est si doux qu’un long sommeil sans rêve.

Le chêne a le repos, l’homme a la liberté...
Que ne puis-je en ce lieu prendre avec toi racines !
Obéir, sans penser, à des forces divines,
C’est être dieu soi-même, et c’est ta volupté.

Verse, ah ! verse dans moi tes fraîcheurs printanières,
Les bruits mélodieux des essaims et des nids,
Et le frissonnement des songes infinis ;
Pour la sérénité je t’aime entre nos frères.