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Page:Coppée - Discours de réception, 1884.djvu/25

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de l’idéal qu’il s’est fait du poète des temps primitifs, de l’antique Orphée ; il devient, selon la belle expression de Lamartine, un véritable prêtre de la parole chantée. Le mot Dieu est celui qui jaillit le plus souvent de sa plume ; et, dans ses vers harmonieux et limpides, le nom sacré retentit sans cesse, ainsi que résonne, le soir, au milieu des bruits de la campagne, la voix d’une cloche de village appelant obstinément les fidèles à la prière.

Qu’on ne s’y trompe pas, cependant : mes paroles auraient étrangement trahi ma pensée si je vous avais représenté M. de Laprade comme un rêveur en dehors de toute humanité, un muezzin criant sans relâche le nom d’Allah du haut des minarets, un hiérophante toujours absorbé dans les mystères. Il n’a point cette monotonie sacerdotale ; il est beaucoup plus humain. Dans les Symphonies, par exemple, livre qui marque, selon moi, le point culminant de son œuvre, bien des poèmes, tels que Rosa mystica et la Tour d’Ivoire, contiennent un élément déjà plus vivant, plus dramatique, sont écrits sous la dictée de la passion. De plus, le poète.excelle dans l’expression de beaucoup de sentiments intimes, des sentiments de famille surtout, et les vers par lui dédiés à sa mère, à son père, à ses aïeux, sont pleins de tendresse respectueuse et font prévoir qu’il trouvera plus tard les accents si touchants du Livre d’un Père. Dans ce domaine de la sensibilité, il abonde en mots de la plus pénétrante émotion, en vers tout entiers jaillis du cœur. Qui osera lui reprocher d’avoir gardé pour lui seul certains secrets de son âme, ou du moins de ne les avoir laissé deviner qu’à travers le brouillard de