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Page:Coppée - Discours de réception, 1884.djvu/28

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aux balles de guerre ? Elles sifflent et font leur œuvre de destruction, le jour du combat ; mais elles sont froides, quand on les ramasse, le lendemain, sur le champ de bataille.

J’aime mieux insister sur la force d’âme qu’opposa le poète au coup qui le frappait. Ce coup lui était particulièrement cruel, car il diminuait ses médiocres ressources et l’atteignait dans ses besoins de père de famille ; mais il ennoblit encore plus cette existence si noble, en y ajoutant la beauté du malheur, du malheur subi avec Je plus simple et le plus fier courage. M. de Laprade dédaigna la popularité que sa disgrâce lui improvisait, n’eut aucune faiblesse, ne laissa échapper aucune plainte ; il vécut seulement dans une plus étroite retraite et travailla davantage. On peut dire qu’à partir de cette heure de crise, le caractère de cet homme de bien se rapprocha autant qu’il est possible de la perfection morale et se revêtit d’une suprême dignité. Dans le cabinet paisible où il s’attarde près de sa lampe, protégé par le regard des portraits d’ancêtres, il peut maintenant, comme il l’a raconté dans un mâle poème, voir surgir, une nuit, l’ombre du grand Corneille en personne. Le père de Polyeucte et d’Horace est heureux de visiter dans sa solitude ce chrétien résigné, ce bon patriote, ce frère pauvre, et il lui sourit avec bienveillance. Un tel hôte est digne en effet d’accueillir Corneille, de lui dire : Sieds-toi ! de parler avec lui d’honneur sévère, de stoïque devoir, et d’écrire sous sa dictée des vers dignes du maître.

L’incursion de M. de Laprade dans le domaine de la satire eut, du reste, un autre avantage que de lui fournir l’occasion de montrer, dans un jour d’adversité,