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Page:Coppée - Discours de réception, 1884.djvu/56

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qu’aujourd’hui encore les pigeons y abondent. L’école nouvelle attache une grande importance à la science de la facture comme à la richesse de la rime. On disait autrefois un rimeur, pour parler d’un méchant poétereau, et cependant, comme l’un de vos confrères l’a justement remarqué, le vers « est suspendu tout entier à la rime comme à un clou d’or », et le mot qui le termine a la puissance magique d’évoquer en nous le sentiment ou la vision que voulait nous communiquer le poète.

La poésie a sa couleur, elle a aussi sa musique et, comme tous les arts, elle arrive à l’âme en passant par les sens. Je veux bien qu’on la considère comme un plaisir de l’esprit ; mais notre esprit à ses sensualités, et tout plaisir a son ivresse. Assurément, de tous les plaisirs sensuels, celui que nous procurent de beaux vers est le plus délicat, le plus subtil, le plus raffiné ; encore faut-il qu’on nous le procure ou nous n’aurons pas notre compte. Une poésie sans cadence et pauvrement rimée, une poésie qui n’a pas des surprises pour notre oreille comme pour notre pensée, une poésie qui ne grise pas un peu, est la plus cruelle des déceptions, et les voluptés qu’on nous faisait espérer se changent en pénitences. Sans doute, les meilleures choses ont leurs abus, et la science dé la facture a ses pédants, qui la réduisent en recettes, qui ne voient plus que le métier, que les procédés. Tel habile ouvrier en vers se croit poète et ne le sera jamais. L’un de nos meilleurs paysagistes a coutume de dire à ses élèves : « Mettez sur cette toile quelque chose que vous ayez senti, avec un bon dessin par-dessous ; c’est tout l’art. » Pour mettre par-dessous le bon dessin, il