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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/102

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Je jure donc par vous, ô pitoyable reste,
1470Ma divinité seule après ce coup funeste,
Par vous, qui seul ici pouvez me soulager[1],
De n’éteindre jamais l’ardeur de le venger.
Ptolomée à César, par un lâche artifice,
Rome, de ton Pompée a fait un sacrifice ;
1475Et je n’entrerai point dans tes murs désolés,
Que le prêtre et le Dieu ne lui soient immolés.
Faites-m’en souvenir, et soutenez ma haine,
Ô cendres, mon espoir aussi bien que ma peine ;
Et pour m’aider un jour à perdre son vainqueur,
1480Versez dans tous les cœurs ce que ressent mon cœur.
Toi qui l’as honoré sur cette infâme rive
D’une flamme pieuse autant comme chétive,
Dis-moi, quel bon démon a mis en ton pouvoir
De rendre à ce héros ce funèbre devoir ?

PHILIPPE.

1485Tout couvert de son sang, et plus mort que lui-même,
Après avoir cent fois maudit le diadème,
Madame, j’ai porté mes pas et mes sanglots[2]
Du côté que le vent poussoit encore les flots.
Je cours longtemps en vain ; mais enfin d’une roche
1490J’en découvre le tronc vers un sable assez proche,
Où la vague en courroux sembloit prendre plaisir
À feindre de le rendre, et puis s’en ressaisir.
Je m’y jette, et l’embrasse, et le pousse au rivage ;
Et ramassant sous lui le débris d’un naufrage,
1495Je lui dresse un bûcher à la hâte et sans art,
Tel que je pus sur l’heure, et qu’il plût au hasard.
À peine brûloit-il que le ciel plus propice
M’envoie un compagnon en ce pieux office :

  1. Var. De n’éteindre jamais, ni laisser affoiblir
    L’ardeur de le venger dont je veux m’ennoblir. (1644-56)
  2. Var. Madame, je portai mes pas et mes sanglots. (1644-56)