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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/135

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Qui lui ont appris les merveilles :
Voilà, pour le vous faire court,
La vraie mode de la Court.

Les récits ne suffisent pas, il faut encore parsemer son discours de termes militaires, d’expressions techniques. Jodelle nous signale déjà ce procédé dans son Eugène[1].

Premièrement estonné m’ont
Avec leurs mots, comme estocades,
Capo de Dious, estaphilades,
Ou autres bravades de guerre.

Dorante n’a garde d’oublier cette partie de son rôle :

Tout le secret ne gît qu’en un peu de grimace,
À mentir à propos, jurer de bonne grâce,
Étaler force mots qu’elles n’entendent pas,
Faire sonner Lamboy, Jean de Vert, et Galas,
Nommer quelques châteaux de qui les noms barbares
Plus ils blessent l’oreille, et plus leur semblent rares,
Avoir toujours en bouche angles, lignes, fossés,
Vedette, contrescarpe, et travaux avancés[2].

La recette paraissait si bonne à la Fontaine que, dans un passage où il semble se rappeler le discours de Dorante, il nous montre Mars ne dédaignant pas d’employer ce moyen auprès de Vénus[3].

Peut-être conta-t-il ses siéges, ses combats,
Parla de contrescarpe, et cent autres merveilles,
Que les femmes n’entendent pas,
Et dont pourtant les mots sont doux à leurs oreilles.

Enfin les choses en étaient venues à ce point que ces termes avaient passé des récits guerriers aux déclarations d’amour, dont elles formaient le langage technique : « Il y en a plusieurs, dit le Commandeur introduit par Caillières dans son livre des Mots à la mode, qui, voulant exprimer leur attachement pour une dame ou quelques autres desseins particuliers, ne parlent que d’attaquer la place dans les formes, de faire les approches, de ruiner les défenses, de prendre par capitulation,

  1. Acte IV, scène iv.
  2. Acte I, scène vi, vers 333-340.
  3. Neuvième fragment du Songe de Vaux.