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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/297

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avoir brûlé le palais royal, fait périr le Roi et sa fille et tué ses enfants ; dans la Troade, Ulysse précipite Astyanax, et Pyrrhus immole Polyxène, tous deux impunément ; dans Agamemnon, il est assassiné par sa femme et par son adultère, qui s’empare de son trône sans qu’on voie tomber de foudre sur leurs têtes ; Atrée même, dans le Thyeste, triomphe de son misérable frère après lui avoir fait manger ses enfants. Et, dans les comédies de Plaute et de Térence, que voyons-nous autre chose que des jeunes fous qui, après avoir, par quelque tromperie, tiré de l’argent de leurs pères, pour dépenser à la suite de leurs amours déréglées, sont enfin richement mariés ; et des esclaves, qui, après avoir conduit toute l’intrique[1] et servi de ministres à leurs débauches, obtiennent leur liberté pour récompense ? Ce sont des exemples qui ne seroient non plus propres à imiter que les mauvaises finesses de notre Menteur. Vous me demanderez en quoi donc consiste cette utilité de la poésie, qui en doit être un des grands ornements, et qui relève si haut le mérite du poëte quand il en enrichit son ouvrage. J’en trouve deux à mon sens : l’une empruntée de la morale, l’autre qui lui est particulière : celle-là se rencontre aux sentences[2] et réflexions que l’on peut adroitement semer presque partout ; celle-ci en la naïve peinture des vices et des vertus[3]. Pourvu qu’on les sache mettre en leur jour, et les faire connoître par leur véritables caractères, celles-ci se feront aimer, quoique malheureuses, et ceux-là se feront détester, quoique triomphants. Et comme le portrait d’une laide femme ne laisse pas d’être beau, et qu’il n’est pas besoin d’avertir que l’original n’en est pas aimable pour empêcher qu’on l’aime, il en est de même dans

  1. Intrique : Intrigue.
  2. Voyez tome I, p. 18.
  3. Voyez tome I, p. 20.