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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/327

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MÉLISSE.

Je n’écrivois tantôt qu’à dessein de lui plaire ;
Mais, Lyse, maintenant j’ai pitié de l’ennui
D’un homme si bien fait qui souffre pour autrui ;
Et par quelques motifs que je vienne d’écrire,
420Il est de mon honneur de ne m’en pas dédire.
La lettre est de ma main, elle parle d’amour :
S’il ne sait qui je suis, il peut l’apprendre un jour.
Un tel gage m’oblige à lui tenir parole :
Ce qu’on met par écrit passe une amour frivole.
425Puisqu’il a du mérite, on ne m’en peut blâmer ;
Et je lui dois mon cœur, s’il daigne l’estimer[1].
Je m’en forme en idée une image si rare,
Qu’elle pourroit gagner l’âme la plus barbare ;
L’amour en est le peintre, et ton rapport flatteur
430En fournit les couleurs à ce doux enchanteur.

LYSE.

Tout comme vous l’aimez vous verrez qu’il vous aime.
Si vous vous engagez, il s’engage de même,
Et se forme de vous un tableau si parfait,
Que c’est lettre pour lettre et portrait pour portrait.
435Il faut que votre amour plaisamment s’entretienne :
Il sera votre idée, et vous serez la sienne :
L’alliance est mignarde, et cette nouveauté,
Surtout dans une lettre, aura grande beauté,
Quand vous y souscrirez[2] pour Dorante ou Mélisse :
440« Votre très humble idée à vous rendre service. »
Vous vous moquez, Madame ; et loin d’y consentir,
Vous n’en parlez ainsi que pour vous divertir.

MÉLISSE.

Je ne me moque point.

  1. Var. Et je lui dois mon cœur, s’il le daigne estimer. (1645-56)
  2. Souscrirez, signerez.