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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/438

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comme celle-ci, parce qu’il ne s’est encore rien passé dans la pièce qui excite la curiosité de l’auditeur, ni qui lui puisse donner quelque émotion en l’écoutant ; mais si vous voulez réfléchir sur celle de Curiace dans l’Horace, vous trouverez qu’elle fait tout un autre effet. Camille, qui l’écoute, a intérêt, comme lui, à savoir comment s’est faite une paix dont dépend leur mariage ; et l’auditeur, que Sabine et elle n’ont entretenu que de leurs malheurs et des appréhensions d’une bataille qui se va donner entre deux partis, où elles voient leurs frères dans l’un et leur amour dans l’autre, n’a pas moins d’avidité qu’elle d’apprendre comment une paix si surprenante s’est pu conclure.

Ces défauts dans cette narration confirment ce que j’ai dit ailleurs[1], que, lorsque la tragédie a son fondement sur des guerres entre deux États, ou sur d’autres affaires publiques, il est très-malaisé d’introduire un acteur qui les ignore, et qui puisse recevoir le récit qui en doit instruire les spectateurs en parlant à lui.

J’ai déguisé quelque chose de la vérité historique en celui-ci : Cléopatre n’épousa Antiochus qu’en haine de ce que son mari avoit épousé Rodogune chez les Parthes, et je fais qu’elle ne l’épouse que par la nécessité de ses affaires, sur un faux bruit de la mort de Démétrius, tant pour ne la faire pas méchante sans nécessité, comme Ménélas dans l’Oreste d’Euripide[2], que pour avoir lieu de feindre que Démétrius n’avoit pas encore épousé Rodogune, et venoit l’épouser dans son royaume pour la mieux établir en la place de l’autre, par le consentement de ses peuples, et assurer la couronne aux enfants qui naîtroient de ce mariage. Cette fiction m’étoit absolu-

  1. Voyez l’Examen de Médée, tome II, p. 336.
  2. Voyez la Poétique d’Aristote, chapitres xv et xxv.