Quand vous nous ordonniez à tous deux d’y prétendre ?
Si sa beauté dès lors n’eût allumé nos feux,
Le devoir auprès d’elle eût attaché nos vœux ;
Le desir de régner eût fait la même chose ;
Et dans l’ordre des lois que la paix nous impose,
Nous devions aspirer à sa possession
Par amour, par devoir ou par ambition.
Nous avons donc aimé, nous avons cru vous plaire :
Chacun de nous n’a craint que le bonheur d’un frère ;
Et cette crainte enfin cédant à l’amitié,
J’implore pour tous deux un moment de pitié.
Avons-nous dû prévoir cette haine cachée,
Que la foi des traités n’avoit point arrachée ?
Non ; mais vous avez dû garder le souvenir
Des hontes que pour vous j’avois su prévenir,
Et de l’indigne état où votre Rodogune,
Sans moi, sans mon courage, eût mis votre fortune.
Je croyois que vos cœurs, sensibles à ces coups,
En sauroient conserver un généreux courroux ;
Et je le retenois avec ma douceur feinte,
Afin que grossissant sous un peu de contrainte,
Ce torrent de colère et de ressentiment
Fût plus impétueux en son débordement.
Je fais plus maintenant : je presse, sollicite,
Je commande, menace, et rien ne vous irrite.
Le sceptre, dont ma main vous doit récompenser,
N’a point de quoi vous faire un moment balancer[1] ;
Vous ne considérez ni lui, ni mon injure ;
L’amour étouffe en vous la voix de la nature :
Et je pourrois aimer des fils dénaturés !
- ↑ Var. Ne vaut pas à vos yeux la peine d’y penser. (1647-56)