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Page:Cortés - Lettres à Charles Quint, trad. Charnay, 1896.djvu/160

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énormes qui paraissaient tout fraîchement abattus. Croyant que par delà le chemin serait dégagé, ils poussèrent en avant, mais le trouvèrent comme devant, tout encombré d’arbres renversés. Et comme de chaque côté la forêt s’étendait épaisse et profonde, ils ne pouvaient que lentement avancer ; voyant que la route se prolongeait obstruée, ils avaient grand’peur que tous ces arbres dissimulassent des ennemis ; et comme la densité de la végétation les empêchait d’utiliser leurs chevaux, plus ils avançaient et plus leur inquiétude grandissait.

Après avoir un certain temps cheminé de cette façon, l’un des cavaliers dit aux autres : « Mes amis, n’allons pas plus avant, si vous m’en croyez, et retournons dire à notre capitaine l’embarras dans lequel nous sommes et le grand danger que nous courons tous, en ne pouvant nous servir de nos chevaux ; mais, si vous n’êtes pas de mon avis, allons en avant, car j’ai fait pour cette campagne le sacrifice de ma vie. » Les autres lui répondirent que son conseil était bon, mais qu’il leur paraissait bien de ne retourner que lorsqu’ils auraient aperçu les ennemis, ou qu’ils se fussent assurés jusqu’à quelle distance la route était obstruée. Ils suivirent donc, et trouvant toujours la route dans le même état, ils s’arrêtèrent et m’envoyèrent l’un des piétons me dire ce qu’ils avaient vu. J’étais à l’avant-garde avec ma cavalerie, et me recommandant à Dieu, nous poussâmes en avant : puis j’envoyai dire à l’arrière-garde qu’elle se hâtât, mais qu’elle n’eût aucune crainte, car nous atteindrions bientôt la plaine. Je rejoignis mes quatre cavaliers et nous continuâmes à avancer, quoique avec les plus grandes difficultés ; enfin, au bout d’une demi-heure, nous arrivâmes sur un terrain plat. Là, nous attendîmes mes hommes ; lorsqu’ils furent arrivés, je les engageai à rendre grâce à Dieu, de nous avoir amenés sains et saufs jusque-là, d’où nous apercevions toutes les provinces du Mexico qui s’étendent au milieu et tout autour des lagunes. Ce nous fut un grand plaisir d’admirer ces belles contrées, plaisir mêlé de tristesse au souvenir de nos désastres, et nous jurâmes tous de n’en sortir jamais que morts ou victorieux. Ce serment nous remplit de courage et de gaieté.

Les ennemis nous avant découverts allumèrent aussitôt des