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Page:Cortés - Lettres à Charles Quint, trad. Charnay, 1896.djvu/222

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y avait une telle boue sur cette chaussée, causée par ceux qui entraient et sortaient de l’eau, que personne n’eût pu s’y tenir et surtout avec les bousculades que les gens se livraient pour se sauver. Cependant, je montai à cheval, non pour combattre, car cela était impossible ; en effet, les huit cavaliers que j’avais laissés dans une petite île, n’avaient pu moins faire que tenter de nous secourir, mais obligés d’y renoncer, leur retraite fut si périlleuse, que deux juments montées par deux de mes serviteurs tombèrent à l’eau, les Mexicains tuèrent l’une d’elles, l’autre fut sauvée par mes soldats. L’un de mes pages appelé Cristobal de Guzman venait à moi, avec un cheval qu’on l’avait chargé de me remettre, pour que je pusse me sauver, mais les ennemis massacrèrent et le cheval et le pauvre garçon avant qu’ils pussent arriver jusqu’à moi. Cette mort jeta dans le camp une grande tristesse aussi vive encore aujourd’hui chez tous ceux qui avaient connu Guzman.

Au milieu de toutes ces difficultés, Dieu permit que les survivants arrivassent à la rue de Tacuba qui est très large. Je réunis mes hommes et avec neuf chevaux je restai à l’arrière-garde. Les ennemis venaient sur nous avec une telle joie et un tel orgueil de leur victoire, qu’il semblait que pas un de nous ne dût échapper. En reculant le mieux que je pouvais, j’envoyai dire au trésorier et à l’officier compteur, qu’ils se retirassent sur la place avec la plus grande prudence ; j’envoyai le même ordre aux deux capitaines qui étaient entrés par la rue qui menait au Marché. Les uns et les autres s’étaient battus avec la plus grande vaillance et s’étaient emparés de plusieurs barricades et chaussées qu’ils avaient comblées avec soin, de sorte qu’ils ne furent point inquiétés dans leur retraite. Avant que le trésorier n’opérât la sienne, les Mexicains, du haut d’une barricade où ils combattaient, lui avaient jeté deux ou trois têtes de chrétiens, sans qu’il pût savoir si ces malheureux appartenaient à la troupe d’Alvarado ou à la mienne. Lorsque nous fûmes réunis sur la place, les ennemis nous chargeaient par tant de côtés à la fois, que nous avions toutes les peines du monde à nous défendre, et dans ces mêmes lieux où, avant notre défaite, ils n’eussent pas osé tenir tête à trois cavaliers et dix fantassins.