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Page:Cortés - Lettres à Charles Quint, trad. Charnay, 1896.djvu/238

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dont les acteurs pouvaient être vus de tous les gens du Marché, aussi bien de ceux qui étaient en bas que de ceux qui étaient en haut des portiques ; on fut quatre jours à le mettre en place, et nos alliés indiens menaçaient les gens de la ville, leur disant qu’avec cette machine nous allions les tuer tous. Quand elle n’aurait eu d’autre effet que de faire peur aux Mexicains, ce qu’elle fit, elle ne nous fut pas inutile ; nous pensions aussi qu’elle précipiterait la reddition de la place. Ce fut une double déception, car la machine ne put servir et les Mexicains ne se rendirent pas. Nous dissimulâmes notre déplaisir en disant que pris de compassion pour ces malheureux, nous nous refusions à les massacrer.

Un autre jour, le trabuco en place, nous retournâmes à la ville et comme il y avait trois ou quatre jours que nous ne nous battions plus, nous trouvâmes les rues où nous passions, pleines de femmes, d’enfants et de malheureux qui se mouraient de faim ; ils étaient si maigres, si décharnés, si lamentables que c’était le spectacle le plus triste du monde, je recommandai qu’on ne leur fit aucun mal. Pour les gens de guerre, ils ne s’exposaient nulle part où ils eussent pu recevoir quelque dommage, et nous les apercevions immobiles là-bas, sur les plates-formes des maisons, drapés dans leurs manteaux et sans armes ; ce jour-là, je leur fis encore offrir la paix. Ils voulurent encore temporiser et comme je les attendais déjà depuis la moitié du jour, je leur fis dire que j’allais les attaquer ; qu’ils fissent retirer leurs gens, sinon, que je donnerais toute licence à mes alliés de les massacrer. Ils répondirent qu’ils désiraient la paix et je répliquai que je ne voyais pas le personnage chargé de traiter, qu’il pouvait venir, qu’on lui donnerait toute sécurité et que nous pourrions entamer les négociations ; mais je vis qu’ils se moquaient de nous, qu’ils étaient tous armés et prêts à nous recevoir ; je les avertis cependant plusieurs fois, afin de mieux les mettre dans leur tort, et je donnai l’ordre à Alvarado d’entrer avec tout son monde dans un grand faubourg occupé par l’ennemi et composé de plus de mille maisons ; j’y pénétrai de mon côté avec mes fantassins seulement, le terrain étant impropre à la cavalerie.